Illustrée par Nine Antico, et enrichie de précieux bonus, l’intégrale d’Eric Rohmer permet de se replonger dans l’univers du cinéaste et de découvrir des facettes plus discrètes de son œuvre.
Avec cette intégrale Rohmer, les éditions Potemkine ont élaboré une publication aux petits oignons, menée de main d’universitaire par Noël Herpe. Le résultat est d’abord un bel objet, dont les illustrations ont été confiées à la dessinatrice de BD Nine Antico. Les films sont proposés à la fois en DVD et en Blu-ray. Une pochette-surprise abrite même de sympathiques produits dérivés ou gadgets, comme deux sachets de thé et une affiche du Genou de Claire…
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Il existait déjà une intégrale DVD des films de Rohmer, parue du vivant du cinéaste. Mais la vraie plus-value de cette nouvelle édition se trouve du côté des compléments, qui offrent une lecture soignée, commentée et comparée de l’œuvre d’Eric Rohmer. Presque systématiquement, les films s’accompagnent de courts métrages des années 50 ou de documentaires réalisés par Rohmer dans les années 60 pour la télévision scolaire (dont l’intégrale est aussi parue en DVD en 2012).
On y décèle déjà les thèmes ou même les sujets à venir dans son œuvre (de Blaise Pascal à Ma nuit chez Maud, de Chrétien de Troyes à Perceval le Gallois). Au fond, Eric Rohmer a toujours aimé, relu et tenté d’adapter les mêmes livres, les a plusieurs fois remis sur sa table de travail, comme s’ils n’étaient jamais vidés de leur substance, comme s’ils constituaient pour lui des sources d’inspiration intarissables. L’édition Potemkine propose aussi une rareté : La Sonate à Kreutzer, court métrage tourné en 1956, et qui jusqu’à ce jour, à notre connaissance, était considéré comme perdu…
Belle surprise. On pourra aussi visionner les captations de deux mises en scène de théâtre : Catherine de Heilbronn d’Heinrich von Kleist (1980) et Le Trio en mi bémol, d’Eric Rohmer lui-même, qu’il avait monté en 1988 avec Pascal Greggory (acteur dans Pauline à la plage et L’Arbre, le maire et la médiathèque) et Jessica Forde (interprète de 4 aventures de Reinette et Mirabelle).
On retrouve avec plaisir les habituels entretiens avec les collaborateurs (Françoise Etchegaray, chaînon essentiel dans la petit fabrique de cinéma rohmerienne), avec les acteurs, souvent très émouvants, comme celui de Marie Rivière parlant merveilleusement du Rayon vert. On découvre aussi un joli film tourné par l’actrice où l’on voit Rohmer réciter avec élégance des vers de Rimbaud et d’autres poètes. On regardera et écoutera les archives vidéo (tournages, interviews d’époque) et audio (les dernières émissions de radio de Rohmer, qui refusait alors d’être pris en photo ou filmé). Enfin, plus inattendu, on se penchera avec grand intérêt et bénéfice sur les courts métrages de l’actrice Rosette, où l’on retrouve la petite troupe rohmerienne des années 80 : Pascal Greggory, Pascale Ogier, Marie Rivière, François-Marie Banier, etc. Rohmer y tenait souvent un rôle et la caméra. On note qu’il réalisa aussi un clip assez croquignolet pour la chanson de Rosette, Bois ton café, il va être froid. Un petit chef-d’œuvre.
Plus encore, on regardera la production rassemblée sous le titre “L’Atelier d’Eric Rohmer”, qui présente un pan plus secret de son œuvre : les courts métrages que le cinéaste confiait dans les années 1990-2000 à de jeunes collaboratrices, amies ou actrices comme Marie Rivière ou Diane Baratier, à travers sa maison de production La Compagnie Eric Rohmer.
Petit conservatoire, leçons de cinéma… Comment appeler autrement ce lieu où des jeunes femmes (souvent très belles) apprenaient les rudiments du cinéma sous le regard d’un maître (Rohmer était semble-t-il toujours responsable du découpage) ? On a l’impression de se retrouver dans l’atelier d’un peintre de la Renaissance, tant ces petits films ressemblent à des films de Rohmer sans en avoir tout à fait le goût. Et ce n’est pas sans une réelle émotion, loin de tous les poncifs qui ont pu courir sur la froideur de Rohmer, qu’on découvrira La Cambrure, qui serait, selon Rosette, le dernier film tourné par le cinéaste français, en 2009. Inscrit dans une série de petits films regroupés sous le thème du “Modèle”, ce film met en scène un jeune homme qui tombe amoureux d’une demoiselle à cause de sa chute de reins, qu’il pense être celle qui a inspiré son oncle sculpteur. Il découvrira plus tard qu’il n’en était rien, même si peu à peu, en comparant les seins de sa petite amie à ceux des femmes peintes par Degas, Magritte ou Modigliani, il comprend que c’est à travers l’art que son regard érotique s’est développé. Jamais dans tout le cinéma de Rohmer on n’aura vu une jeune femme montrer si volontiers sa poitrine généreuse à la caméra, notamment pour prendre la pose parfaite d’un tableau d’Auguste Renoir. C’est bien ce qui émeut le plus : le dernier film, court et presque inconnu de Rohmer, est sans doute son plus érotique. Mais loin d’être l’oeuvre d’un vieillard libidineux, il est celui d’un artiste qui s’adonne encore une fois au spectacle des beautés de la vie, de la jeunesse, de la sensualité. Un film éminemment renoirien, comme Jean, l’un de ses maîtres.
Le coffret La dessinatrice Nine Antico illustre les 30 DVD d’un coffret de l’œuvre intégrale d’Eric Rohmer, accompagné d’un livret de 100 pages (Potemkine), sortie le 5 novembre, environ 200 €
A lire Une collection de nouvelles signées d’un jeune Eric Rohmer sous le titre Friponnes de porcelaine, ainsi que sa toute première biographie par les critiques et historiens Antoine de Baecque et Noël Herpe (Stock), sortie le 3 janvier, environ 18 € chacun
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