Alors que les célébrations du centenaire de la guerre de 1914-18 se préparent dans les mois à venir, un essai des historiens André Loez et Nicolas Offenstadt dresse un panorama complet de la Grande Guerre.
En 2014, et même si cela a déjà commencé, la Grande Guerre s’invitera forcément dans nos conversations, à défaut de nos souvenirs (il n’y a plus de survivants de la guerre de 1914-18). Le centenaire de la Première Guerre mondiale, célébré en France tous azimuts, sera l’occasion de rappeler la force de l’événement, comme le prouvent des dizaines d’ouvrages déjà parus depuis l’automne.
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Parmi eux, le livre de Nicolas Offenstadt et André Loez, spécialistes de la guerre de 1914-18, La Grande Guerre, carnet du centenaire, fait, avec brio et pédagogie, le tour du sujet de manière à la fois exhaustive et décalée, rigoureuse et fragmentée. Plutôt que de proposer une lecture unilatérale et classique, le livre propose un panorama large, joliment illustré, de tous les enjeux de la guerre, de ses événements clés à ses interprétations sans cesse rediscutées entre historiens.
“consentement” ou “contrainte” ?
Si la question des origines du conflit, de la responsabilité des empires, a polarisé de nombreux travaux historiographiques, centrés sur les faits diplomatiques et militaires, l’histoire économique et sociale s’est imposée dans la grille de lecture dès les années 60. C’est à partir des années 90 qu’une nouvelle génération d’historiens a mis en avant les enjeux culturels, et porté l’attention sur les expériences de guerre des soldats, sur la violence de guerre, subie et exercée, grâce à la découverte de témoignages de poilus (lettres, carnets, souvenirs…).
Une querelle de spécialistes, souvent caricaturée, entre “consentement” et “contrainte” a traversé les débats récents. Des historiens proposent d’un côté une explication culturaliste au conflit, en affirmant que la culture de guerre patriotique produit le consentement généralisé à la guerre. D’autres, comme Loez et Offenstadt, estiment qu’on ne peut attribuer aux soldats un consentement absolu. “Faire d’une supposée culture ou d’un patriotisme généralisé l’instance explicative, en dernier ressort, des événements, fait disparaître tout le jeu social par lequel les positions des acteurs se déterminent, et l’Etat, instance qui l’encadre, et qui manifeste toute sa puissance en temps de guerre.”
A la recherche des traces
Mais, par-delà les controverses historiographiques ici mises en perspective, le livre s’attache surtout à consigner toutes les traces de la Grande Guerre dans notre mémoire nationale. Estimant qu’un récit trop linéaire “risque d’écraser la pluralité des expériences de guerre, de privilégier l’histoire d’en haut, celle des décisions politiques, des batailles et des grands moments et risque aussi de trop se centrer, c’est à dire de parler avant tout des pays les plus puissants, de privilégier le roman national (la résistance de Verdun par exemple)”, les auteurs choisissent le grand angle et la forme du fragment.“Ce n’est pas un grand récit auquel le lecteur est convié mais à plusieurs traversées”, expliquent-ils.
Ce feuilletage de plusieurs voix permet de s’attacher à des portraits d’acteurs peu connus de la guerre (un fusillé italien, un opérateur de cinéma, un général, un artiste mutilé…), à des mots clé et évocateurs (baïonnette, as, fusillé, boue, caviarder, corvée, faire camarade, fraternisation, Grosse Bertha, pinard, totos…), à des objets façonnés par le conflit (masque à gaz, insignes patriotiques…), à des lieux de mémoire (le cimetière Saint-Charles de Sedan, le plateau de Craonne…). Cette manière oblique d’affronter la mémoire de la Grande Guerre est d’une efficacité pédagogique évidente, outre qu’elle sort des sentiers (de la gloire) battus. Les sujets classiques abordés dans les livres de référence – comment se sont construits les nationalismes, comment les sociétés en guerre ont fait corps, comment les liens sociaux se sont faits et défaits dans la guerre, comment se construits peu à peu des refus, des dissidences, des désobéissances… – trouvent ici un éclairage saisissant.
Réalisé en coédition avec la Mission du centenaire de la Première guerre mondiale et France Inter, édité chez Albin Michel, ce Carnet du centenaire consigne les éléments historiographiques les plus décisifs, accumulés au fil des décennies, permettant de saisir d’un seul geste la complexité foisonnante de la “der des ders”, moment inaugural du XXe siècle.
Jean-Marie Durand
La Grande Guerre, carnet du centenaire, par André Loez et Nicolas Offenstadt (Albin Michel, 256 p, 20 €)
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