Après avoir reçu un avis de contrôle fiscal, le fondateur et patron de Mediapart nous explique pourquoi dans cette affaire de taux de TVA (taxe sur la valeur ajoutée) qui touche Mediapart et d’autres titres de presse en ligne (Terra Eco, Arrêt sur images, Indigo Publications…), l’adversaire est en réalité « le cerveau reptilien de l’Etat profond ».
Comment cet avis fiscal vous est-il arrivé ?
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Comme je l’explique dans mon article en accès libre sur Mediapart, c’est un huissier qui est venu mardi dernier. J’ai signé l’avis de réception. Normalement, il aurait dû arriver lundi, comme pour Indigo, mais il s’est trompé d’adresse.
L’administration fiscale vous reproche de ne pas payer la TVA à 19,6%. Pourquoi avez-vous décidé, sans attendre que la loi soit modifiée, de vous auto-appliquer depuis 2009 une TVA à 2,1% ?
Sincèrement, nous n’avons rien fait d’illégal car nous n’avons rien fait de caché. Mediapart n’a rien fait en secret ou en loucedé. Tout est public. Nous avons expliqué notre position à nos interlocuteurs avec un communiqué du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne) en 2009. Jamais auparavant la Cour des comptes, l’administration, les parlementaires, jamais personne ne nous a dit : « c’est inacceptable ». Comme nous étions pionniers sur Internet, nous étions pionniers pour affirmer cette égalité. Et de ce point de vue, c’est l’État qui ne s’est pas mis en ordre.
D’où vient le concept de « neutralité des supports » (télé, radio, Internet, papier), sous-entendu d’égalité entre les différents médias ?
A partir de 2011, c’est la Cour de justice européenne (« arrêt Rank » du 10 novembre 2011) qui pose cette question de la neutralité. On peut me dire tout ce qu’on veut, faire toutes les interprétations possibles, mais l’Europe produit du droit. Et l’Europe a dit « neutralité des supports ». La même année, le Sénat, déjà passé à gauche, vote un amendement en ce sens. L’ensemble des forces politiques est tombée d’accord et les huit syndicats professionnels de la presse ont signé une déclaration affirmant la neutralité des supports.
Vous n’avez pas d’adversaire en réalité ?
(Rires) On a seulement comme adversaire le cerveau reptilien de l’Etat profond. Je pense que la haute administration, avec ses préjugés sur ce que nous représentons, déclenche cette affaire après un article orienté et malveillant de l’Express. Deuxièmement, il y a une autre raison évidente de ça : nous défendons un nouvel écosystème de la presse plus vertueux. Nous refusons tout centime d’aide publique, nous n’avons pas de mécènes industriels, nous dépendons juste de nos lecteurs. Nous créons de la richesse uniquement avec les lecteurs et nous disons que seules les aides indirectes sont saines. Je rappelle l’exemple du Monde avec ses 32,2 millions d’euros d’aides publiques en 2012, plus la publicité, plus des industriels à leur capital, plus ses ventes…
Pourquoi, au Royaume Uni, les médias bénéficient-ils d’une TVA à 0%?
C’est la France qui s’est mal démerdée à l’époque. La TVA spécifique pour la presse dispose d’une légitimité qui n’est pas économique. Son existence est démocratique. Et la Grande Bretagne a une plus vieille culture démocratique que nous. Or la presse se situe au cœur du débat démocratique, de la pluralité de l’info et des opinions. Elle doit être protégée. Et donc elle doit être moins chère car elle taxe le consommateur, l’acheteur, le lecteur.
Pourquoi n’avez vous pas rencontré de difficultés auparavant sur cette thématique ?
Il y avait un moratoire tacite tant que toute ces démarches trainaient. Il y a eu rupture. Nous sommes un journal qui bouscule ce monde-là. Avant l’affaire Cahuzac, il y avait eu Woerth. Pour que l’administration aille dans cette direction comme si on était des fraudeurs, c’est qu’il n’ont pas réfléchi une seconde. Quand il y a eu la bataille pour l’IVG, oui il y avait une loi mais ceux qui ont mené cette bataille avait raison.
A quel moment peut-on selon vous « devancer » la loi ?
Quand la cause défendue est vraiment établie par un mouvement de société. C’est le cas aujourd’hui. Personne ne dit que la TVA à 19,6% est quelque chose de juste. Personne. Nous espérons désormais un sursaut du politique. Maintenant, il faut qu’ils fassent le job.
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