Très critiquée et controversée, la saison 3 de la série autrefois unanimement bien-aimée « Homeland » vient de s’achever hier soir sur la chaine américaine Showtime. Bilan d’une saison imparfaite mais loin d’être inintéressante.
Une saison huée
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Il y a deux ans, au terme de la première saison fulgurante de Homeland, les sériephiles du monde entier, la majorité des journalistes et même le Président Obama pariaient tout l’or du monde sur les aventures de Carrie Mathison, agent de la CIA bipolaire, de Saul Berenson, son boss/mentor, ainsi que de Nicholas Brody, un ancien otage soupçonné d’avoir été retourné par les islamistes – et accessoirement grand amour de Carrie. La grande série parano et mélo montrait des signes de pleine santé. Alors que la troisième saison s’est terminée hier aux Etats-Unis, il ne reste plus grand monde pour accréditer l’idée que Homeland serait encore une série majeure. Celle-ci n’a reçu aucune nomination aux Golden Globes qui auront lieu au mois de janvier après avoir régné sur la catégorie reine (« meilleure série dramatique ») deux années de suite. Plus dure sera la chute ?
Dans son article à propos du dernier épisode, diffusé le 15 décembre aux Etats-Unis, la très influente critique du Huffington Post américain, Maureen Ryan, tire à boulets rouges et reflète l’opinion majoritaire. A propos de l’ultime scène, au cours de laquelle Carrie dessine en secret une étoile commémorative pour Brody (qui n’a pas eu les honneurs de la CIA après sa mort en Iran) sur le mur du souvenir des membres de l’agence tués en mission, Ryan sort l’argument qui tue : « La CIA n’a-t-elle pas des caméras partout, spécialement dans le hall d’entrée ? Personne ne verra ce qu’elle a fait ? Ne devra-t-elle pas en subir les conséquences » ? Quand ce genre de remarque ultrapointilleuse voit le jour, c’est que quelque chose s’est rompu : un contrat fondé sur la croyance entre Homeland et certains de ses spectateurs.
A quel moment la fracture est-elle survenue ? Pour certains, cela remonte carrément à la saison 2. Pour d’autres, à l’épisode quatre de la saison 3 – avec le fameux rebondissement éclairant d’un jour nouveau la relation entre Saul et Carrie. Le sentiment d’avoir été « trahi » par sa série préférée est sans doute le plus largement répandu chez les amateurs du genre. Il est parfois justifié et ne doit pas être pris à la légère. Mais concernant Homeland, l’opprobre repose sur des fondements ambigus, voire peut-être sur un malentendu.
Et si, en pointant les incohérences scénaristiques de la série, sa fragilité, ses excès, les haters ne désignaient pas justement les premières qualités de Homeland ?
http://www.youtube.com/watch?v=iXOUIsu-E0Q
Une saison imparfaite
Le rapport à une série aussi intense se déploie de manière forcément vivante et évolutive. On peut aimer Homeland puis la détester. L’aimer de nouveau presque malgré elle. Parfois contre son scénario et pour son instabilité. On peut donc lui pardonner beaucoup. Cette année, quelques choix narratifs ont interpellé – l’errance dépressive de la fille adolescente de Brody, Dana, par exemple – et donné le sentiment que la série ignorait elle-même quelles étaient ses bases.
Cela était peut-être vrai par intermittence, mais pas forcément grave pour autant. Quelques explications se profilent. Après sa deuxième saison, Homeland a subi une véritable saignée dans son staff d’écriture avec la mort d’Henri Bromell et le départ de la brillante Meredith Stiehm (tout de même revenue pour co-écrire le dernier épisode). Ce tremblement de terre en coulisses n’a pas été beaucoup souligné dans la presse, mais il a eu des conséquences assez évidentes à l’écran. Les premiers épisodes de la saison 3 ont montré la traversée douloureuse d’une période de deuil pour les personnages principaux, marqués par l’attentat ayant ravagé la CIA. Ils étaient en convalescence, au même titre que la série elle-même – étrange destin commun de chaque côté de l’écran.
Signe de cette réalité, plus la saison a avancé, plus les épisodes sont devenus simples, directs et sûrs de leur propos ; même si tout est resté fragile sur le fond, comme une marque de fabrique. Après trente-sept épisodes, un diagnostic assez clair se dessine en filigrane : la maladie (de Carrie, du scénario, du monde) est devenue le sujet central de cette série bizarre, inégale mais toujours palpitante. Comme François Truffaut parlait de « grands films malades », il y a peut-être de « grandes séries malades » dont Homeland serait un cas typique et fascinant. Rien que pour avoir observé un corps fictionnel se battre avec lui-même comme si un virus lui rongeait l’organisme, puis nous donner à voir le résultat de cette introspection, impossible de regretter cette saison 3.
Une saison courageuse
Au début de la saison, Homeland décidait de rebattre les cartes en ne faisant pas apparaître le personnage de Nicholas Brody immédiatement (une seule fois dans les 7 premiers épisodes) et en mettant de la distance entre Carrie et Saul. Le trio sur lequel reposaient les deux premières salves d’épisodes s’écroulait en direct. Malgré tous les détours empruntés depuis, la conclusion de la saison 3 n’a fait que renforcer cet état de fait. Saul a quitté contraint et forcé son poste de directeur par intérim de la CIA et va maintenant travailler dans le secteur privé à New York ; Carrie va être mutée à Istanbul ; Brody, le Saint-Sébastien des séries (ou presque) a achevé son parcours d’assassin et de martyr pendu à une corde à Téhéran, au milieu de la nuit. Une décision courageuse que les scénaristes avaient envisagée dès la deuxième saison, avant que Showtime, le diffuseur américain, ne mette le holà.
Toute la saison aura porté les stigmates de la séparation inévitable entre ses atomes de plus en plus solitaires. Brody, Carrie et Saul ont vécu dans des mondes parallèles, ne se rencontrant presque pas et jamais pour très longtemps. Les héros de Homeland sont devenus comme des particules éparpillées, souvent incapables de se sauver mutuellement, condamnés à se regarder de loin sans se toucher. Ils n’ont la plupart du temps communiqué qu’à travers des écrans, des téléphones, via satellite, spectateurs parfois impuissants de la vie des autres.
De manière logique, la relation entre Carrie et Brody s’est terminée avec un grillage en guise de séparation éternelle. De manière toute aussi logique, Homeland saison 3 a passé son temps à scruter les visages des uns et des autres qui cherchaient l’appui d’un regard ami. La réussite d’un champ/contrechamp significatif sonnait comme une victoire.
On n’aime pas uniquement une série pour la logique de son scénario, mais aussi (et parfois surtout) pour son sens du détail, ce qui ne s’écrit pas, les temps morts, la construction d’un espace mettant en jeu les personnages – bref, pour des questions de mise en scène. Homeland le prouve avec un sens du drame toujours puissant, sous la houlette d’une réalisatrice de talent, Lesli Linka Glatter (Twin Peaks, NYPD Blue, The West Wing, Mad Men, etc). Celle-ci a réussi à prendre brillamment le relais du très doué Michael Cuesta, réalisateur du pilote et producteur exécutif des deux premières saisons, parti tourner un film au cinéma.
Une saison de trop ?
Homeland doit-elle continuer après le finale plutôt radical qui vient d’être diffusé ? La question ne se pose pas concrètement, puisque la série a été renouvelée en vue d’une quatrième saison, d’où disparaîtront non seulement le personnage de Brody, bien sûr, mais aussi sa femme et sa fille. On peut toutefois s’interroger sur la nécessité (autre qu’économique) de poursuivre une œuvre qui vient de clore un chapitre majeur de son histoire. Dexter avait continué après une saison 4 en forme d’apothéose. Elle a passé le restant de son existence à se dévaluer de manière plus ou moins flamboyante. Homeland pourrait emprunter ce chemin funeste si elle n’a plus rien à montrer. Le visage de Carrie vaut-il encore la peine d’être filmé ? Nous verrons bien. Réponse au mois de septembre prochain.
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