Après les promesses d’un brillant début de carrière puis une longue éclipse, Anna Mouglalis rencontre enfin un grand rôle à sa mesure dans “La Jalousie” de Philippe Garrel
Dans La Jalousie, elle est Claudia, celle pour qui Louis (Louis Garrel) quitte son foyer conjugal. Comme Louis, Claudia est actrice, mais elle n’a pas décroché un rôle depuis six ans, envisage une reconversion dans un métier moins exaltant mais moins aventureux.
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Anna Mouglalis n’est évidemment pas Claudia. Pourtant, après un démarrage en trombe au début de la précédente décennie (Merci pour le chocolat de Claude Chabrol, La Vie nouvelle de Philippe Grandrieux, Novo de Jean-Pierre Limosin), sa carrière est devenue plus sinueuse, entre simples seconds rôles (Romanzo criminale, Gainsbourg vie héroïque), campagnes de publicité pour Chanel et films peu vus, ou vite oubliés. Le visage aussi grave que la voix, éclairé parfois d’une nuance d’ironie dans le regard, magnifique de bout en bout, elle trouve enfin, dans La Jalousie, un grand rôle dans un grand film.
A quoi ressemble un tournage avec Philippe Garrel ?
Anna Mouglalis – Il a une “méthode”, qui est adaptée aux contraintes économiques. C’est vingt et un jours de tournage, peu de prises. Il adore les acteurs, ça se ressent. Son plateau est hyper joyeux. C’est un vertige somptueux que de tourner avec lui. Depuis quelque temps, j’avais perdu le bonheur de tourner, je n’arrivais pas à y mettre tout mon esprit. Avec lui je l’ai retrouvé je crois, ça m’a redonné de l’estime en tant qu’actrice.
Comment l’as-tu rencontré ?
Un peu par hasard, je ne sais plus trop où. Il avait des réserves par rapport au fait que je puisse incarner un personnage d’un certain prolétariat artistique. Après dix ans de publicité pour des diamants, je comprends, on récolte ce qu’on a semé. Puis il a quand même voulu voir si ça marchait chimiquement avec Louis et ça a été. Avant de le connaître, je pensais que c’était un intellectuel taciturne. C’est tout l’inverse : un type en prise totale avec la vie.
Connaissais-tu bien son cinéma ?
La découverte du cinéma de Garrel, c’était à 16 ans dans un cinéma du Ve arrondissement. J’avais vu Le Lit de la Vierge et Pierre Clémenti qui s’adresse au ciel en disant “papa, papa”, j’avais adoré ça. Il a les plus beaux titres de film du cinéma français : La Naissance de l’amour, J’entends plus la guitare, ça c’était un tube (rires). Il apprivoise l’instant, c’est un vrai auteur. Il y a des choses formidables aussi dans le cinéma de divertissement, mais ce genre est fait pour oublier qu’on va mourir. Garrel, lui, questionne sans arrêt le fait qu’on va mourir. Il prend le temps d’y réfléchir.
Le rôle qui t’as révélée au cinéma, c’est celui de “Merci pour le chocolat” de Claude Chabrol.
C’était super, j’étais entrée au Conservatoire, on m’avait dit que ma voix grave ne correspondait pas à mon physique et on voulait m’opérer. J’ai refusé mais ils l’ont fait à une nana de ma promo, qui elle avait accepté. Chaque fois que j’allais à un casting, on me proposait à 18 ans des rôles de femme de 40. Chabrol a pris ma singularité en compte, ça le faisait éclater de rire que j’aie cette voix. Je me souviens aussi qu’on tournait en Suisse dans la maison de David Bowie, mais il aurait fallu me payer pour vivre là-dedans. Une grosse maison de notable avec du gravier partout autour, un truc d’une tristesse !
L’un de tes rôles les plus marquants, c’est dans La Vie nouvelle de Philippe Grandrieux.
J’ai adoré ce tournage, il était également très joyeux. Il se déroulait en Bulgarie, dans un hôtel où les GI qui faisaient la guerre en ex-Yougoslavie venaient en permission. Il y avait des GI de 20 ans, des filles de 16 ans qui se prostituaient alors qu’elles parlaient cinq langues et, au dernier étage, un bar complètement fou avec une lumière dingue. Dans les restos, il y avait des casiers pour ranger les flingues. On filmait des scènes de transe. J’ai été blessée qu’il y ait eu rupture entre Grandrieux et moi après le tournage, il ne supportait plus de me voir au montage. Alors que moi j’avais tourné par moins 30 degrés à quatre pattes dans les couloirs de cet hôtel. Symboliquement, je lui signifiais que tout était possible sur ce tournage et lui, à la sortie du film, m’a rejetée. Mais le film existe, est fort et je respecte énormément Grandrieux : un type qui propose un scénario de film basé uniquement sur un poème, c’est pas mal, quand même.
Tu as incarné Simone de Beauvoir, Coco Chanel et Juliette Gréco, trois icônes du XXe siècle…
Beauvoir, c’était la première fois que j’acceptais de faire de la télé. Je refusais beaucoup de choses au cinéma, j’en avais marre des rôles de femmes mystérieuses et venimeuses. Je n’en pouvais plus d’être un pur objet sexuel, même un baiser dans un film me posait problème. Incarner Beauvoir était une vraie alternative à ces clichés de femme un peu objet, un peu fatale. Beauvoir, on a voulu en faire un morceau de bois, alors que c’était une grande charmeuse, la première à mettre du rouge à lèvres et à se faire traiter de pute. Coco Chanel, c’est autre chose. Comme je suis ambassadrice Chanel – oui, oui, j’ai des fonctions diplomatiques (rires) –, j’ai fait beaucoup de séances photo dans son appartement. Quand on y entre, c’est très troublant, tout est encore en place, on dirait qu’elle est partie il y a cinq minutes. J’y ai passé du temps dans cet appart, fait des siestes, j’ai l’impression d’être imprégnée de son univers. Mais pour faire le film de Jan Kounen (Coco Chanel & Igor Stravinsky, 2009 – ndlr), j’ai lu énormément. Quant à Gréco, lorsque Joann Sfar m’a appelée pour que je l’interprète dans Gainsbourg…, j’ai d’abord dit : “Ben non, ça devient ridicule, là”. Puis il m’a dit que c’était elle qui voulait que ce soit moi. Donc, évidemment, j’ai dis OK.
Tu as aussi joué avec Benoît Delépine et Gustave de Kervern dans Mammuth.
Ce n’était que deux jours de tournage. Ils sont venus me chercher à la gare d’Angoulême en me disant qu’ils avaient envie de tourner avec moi parce qu’ils avaient appris que j’aimais bien boire un petit coup de blanc. On s’est rendu à un pot organisé par la Région, qui leur avait donné de l’argent, ils titubaient. C’est moi qui ai conduit. Et Depardieu a été très sympa. On m’avait dit tu verras, il va essayer de te toucher les seins ou le cul, et en fait, pas du tout, il était très courtois. Je me souviens d’un truc précis, c’est le coup de ventre qu’il avait mis à un technicien. Paf, un coup de gros ventre. C’est impressionnant.
Entre Depardieu, Delépine, Kervern d’un côté et Karl Lagerfeld de l’autre, il y a des milliards de kilomètres. Comment t’adaptes-tu ?
Je pense que je reste la même. La différence, c’est peut-être qu’on ne boit pas les mêmes vins avec les uns et les autres (rires). Karl, il ne boit pas mais il met toujours de bonnes bouteilles à disposition. C’est un type incroyable, Karl Lagerfeld.
As-tu des héros, des héroïnes ?
Virginie Despentes. J’avais adoré King Kong théorie, elle m’a d’ailleurs donné son accord pour que j’en fasse des lectures au théâtre ou dans les lycées. C’est un livre exceptionnel. Sinon, Christiane Taubira, qui a été immense lors des débats sur le mariage pour tous. J’adore Jane Campion. Et Marina Tsvetaïeva, une poète russe majeure ! Je n’ai cité que des filles, mais j’ai des héros aussi (rires).
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