Pour échapper à la guerre, un homme se déguise en femme. Puis, pour échapper à lui-même, devient femme. Jusqu’à ce que son corps, le regard de la société et celui de son épouse le rappellent à sa condition – insoutenable. Voici résumée la trajectoire de Paul Grappe, né en 1891, soldat tire au flanc en […]
Inspiré de la vie de Paul Grappe, qui au début du XXe siècle se fit femme, un film douloureux et brûlant.
Pour échapper à la guerre, un homme se déguise en femme. Puis, pour échapper à lui-même, devient femme. Jusqu’à ce que son corps, le regard de la société et celui de son épouse le rappellent à sa condition – insoutenable. Voici résumée la trajectoire de Paul Grappe, né en 1891, soldat tire au flanc en 1914, déserteur en 1915, fugitif, travesti puis prostitué jusqu’a son amnistie en 1925 et, enfin, mime de sa propre histoire au cabaret, jusqu’à sa mort tragique en 1928.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est de la reconstitution théâtrale d’une vie par celui qui l’a vécue (avec l’excellent Michel Fau en Monsieur Loyal) que part Téchiné, qui ne pouvait qu’être fasciné par ce destin oublié, détaillé dans un livre de Fabrice Virgili et Danièle Voldman, La Garçonne et l’Assassin, dont il s’est inspiré. Le récit en flash-backs dialogue avec Lola Montès de Max Ophuls, qui fait se retourner un personnage sur son existence déchue sur une scène de cabaret, dans un geste spéculaire tour à tour enjoué et morbide.
Céline Sallette renoirienne
Nos années folles, titre magnifique, désigne par son jeu de mots l’horizon du film : c’est parce qu’il s’est fait “folle” que Grappe vit de folles années ; mais il ne les vit pas seul, et c’est toute la force du cinéaste que de rendre palpable la complicité au sein du couple échevelé. Pierre Deladonchamps et Céline Sallette ne sont pas étrangers à cette réussite. Le premier, qui trouve ici son premier grand rôle depuis L’Inconnu du lac, figure une forme de naïveté romantique, à la fois exalté par son émancipation et incapable d’en assumer les conséquences. La seconde compose un émouvant personnage renoirien, avec sa diction si particulière et sa beauté fauve.
N’ayant pas son pareil pour faire flamboyer l’intime (les scènes d’amour sont particulièrement réussies), le cinéaste concentre son attention sur la mécanique du désir, et son dérèglement à mesure que l’homme explore les marges, tandis que la femme assume les responsabilités du foyer. La libération sexuelle et identitaire provoquée par “l’affolement” de Paul (pour paraphraser Louis Skorecki à propos de John Wayne dans Rio Bravo) résonne chez Louise. L’ennemi, c’est l’assignation : dès que les choses sont établies, nommées, re-présentées, et non plus vécues dans l’innocence, c’est foutu. Et comme toujours chez Téchiné, écrire son récit est une nécessité vitale, mais aussi une douloureuse brûlure.
Nos années folles d’André Téchiné (Fr., 2017, 1 h 43)
{"type":"Banniere-Basse"}