En deux ans et demi, les supporters Ultra Boys 90 ont ramené le Racing Club de Strasbourg à la vie. Reportage au coeur du groupe en plein derby.
Vendredi 8 novembre, au sommet de la tribune principale du Colmar Stadium. Olivier, président des Ultra Boys 90 (UB 90), groupe de supporters ultras du Racing Club de Strasbourg, ajuste son objectif. Il s’apprête à photographier la fresque éphémère que va dévoiler la tribune d’en face. Tribune où s’entassent les siens, les visiteurs strasbourgeois. Vers 20 h 30, Raymond Domenech, reconverti en consultant pour Ma Chaîne Sport, s’avance sur la pelouse. Juste après le commentaire sourcilleux de l’ex-sélectionneur des Bleus, au coup d’envoi de ce derby Colmar-Strasbourg, se déploie un grand « tifo ». L’animation collective, faite de feuilles bleues et blanches portées par chaque supporter, rhabille tous les gradins d’un maillot strasbourgeois imaginaire. Le tout appuyé par des chants et une imposante banderole : « On est toujours là pour notre Racing ! », qui s’étale en alsacien sur… soixante mètres de long.
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« Chonchon » et « Arrache »
Quelques minutes passent. « Putain, ils laissent le tifo trop longtemps », maugrée Olivier dans sa courte barbe. Il sort du stade, contourne les travées et s’approche du tambour et des chants de ses potes, les Ultra Boys 90, ou plutôt les « Zubés » pour les intimes qui ne répètent plus la date de naissance du groupe. Perchés à trois mètres de hauteur sur le grillage, Chonchon et Arrache, surnoms des deux « capos », s’égosillent. Mégaphone en main, le dos tourné au terrain, ils jouent les moteurs d’une chorale composée d’un noyau de quelque deux cents ultras, de supporters des autres groupes strasbourgeois (Kop Ciel et Blanc (KCB), la Fédération des supporters et le Club central), d’indépendants et de lambdas.
Les 1 200 places visiteurs ont été vendues en trois jours seulement. Ce soir, à la vue de ce public de Ligue 1, difficile de se persuader qu’il s’agit d’un match de National, la troisième division. Pourquoi donc ce chaudron bout-il dans une cheminée si étroite ? Pour le comprendre, il faut revenir deux ans et demi en arrière. Le jour où ces ultras ont ramené leur équipe à la vie.
De la première à la cinquième division
Eté 2011. Le Racing subit de plein fouet les conséquences des excentricités de Jafar Hilali, l’ancien président du club. Le genre de type qui était capable d’annoncer sa venue au stade de la Meinau en hélicoptère, de tuer son temps sous pseudos sur des forums internet de fans et, histoire de sortir en beauté, de vendre le club pour un euro symbolique à un supporter… Après une gestion financière calamiteuse, la sanction tombe fin août. Le Racing Club de Strasbourg subit une relégation administrative doublée d’une liquidation judiciaire. Direction les tréfonds des championnats amateurs. Terminés la Ligue 1 et les matchs disputés au niveau européen quatre ans plus tôt contre l’AS Rome. Le club historique de la capitale alsacienne chute en CFA2, la cinquième division !
Les joueurs partent, le centre de formation se vide, les cinquante employés du club sont licenciés. « C’était un plan social un peu comme chez PSA », résume François Keller, coach des espoirs alors promu entraîneur de l’équipe première. Une équipe fantôme. En cet été infernal, voilà un an que, faute d’argent, la société sous-traitante qui nettoie habituellement les 29 000 places du stade de la Meinau n’a plus été appelée. Au fil des matchs, les immondices se sont accumulées. Créée en 2010 pour encourager les institutions publiques à sauver le club, la Fédération des supporters du RCS lance sur deux jours un grand ménage d’été. « Des merguez aux confettis, tout était resté collé, se souvient Etienne, nettoyeur à l’époque et aujourd’hui « responsable tifo » des UB 90. Tu faisais quatre sièges à l’éponge, le seau était noir, il fallait changer la flotte. » De son côté, le coach lave lui-même les maillots des joueurs. « On s’est débrouillés pour trouver les briques pour reconstruire un mur, les supporters étaient le ciment, métaphorise François Keller, toujours entraîneur du Racing. Sinon ça n’aurait pas tenu, c’est clair. »
« Strasbourg, you’ll never walk alone »
Retour au derby du 8 novembre. En haut de son grillage, le capo Chonchon tatoué d’un « Strasbourg, you’ll never walk alone » chambre ses troupes. « On se réveille ! Y a trop de péquenauds en face et je les entends, putain ! Et ça, c’est pas normal ! », hurle-t-il dans son méga. Effet immédiat. Les péquenauds d’en face, les Green Boys et les Col’Verts, petits groupes d’ultras colmariens, disparaissent derrière une forêt de cordes vocales strasbourgeoises : « Nous sommes les Strasbourgeois, toujours présents pour toi, même en CFAAAA… » Ce chant est né deux saisons plus tôt, le jour du baptême de la renaissance du club.
27 août 2011, premier match de l’histoire du Racing en cinquième division. « Il s’est passé quelque chose d’important là-bas », se souvient un ultra. Le bus affrété par les Ultra Boys atterri en Lorraine, à Forbach, ville dont les 22 000 habitants pourraient tous tenir assis dans le stade de la Meinau. De façon prémonitoire, le site internet Racing Stub, bible des supporters, publie avant la rencontre un article intitulé : « Forbach to the roots ». Le retour aux racines a bien lieu. Sur place, les ultras ne trouvent aucun de leurs repères habituels : ni stadiers, ni policiers, ni parcage séparant visiteurs et locaux. « La liberté totale, hallucine encore Etienne. Là, on entre dans les tribunes avec nos bières et des bouteilles de Ricard, ça change. » De stupéfaction, l’équipe de Forbach s’arrête en plein échauffement. De la tribune, traditionnellement sage, résonnent de puissants chants. Les « Zubés » déploient une banderole : « De l’UEFA à la CFA, Strasbourg on sera toujours là ». Dans une ambiance électrisée, le RCS s’impose 4 à 0. A la fin du match, une bière passe des tribunes à la main du nouveau président, il la boit cul sec. La saison glisse ainsi.
Le club remonte dès la première année en division supérieure (CFA) avec, au passage, un record d’affluence pour cet échelon : près de 11 000 personnes lors d’un derby contre Schiltigheim à la Meinau. L’année suivante, le Racing monte une nouvelle fois, de la quatrième (CFA) à la troisième division (National) et porte le record d’affluence à 20 000 personnes. Chose rare dans la culture ultra, pour cette dernière montée, aucun fumigène ne fut craqué.
« Le mouvement ultra a toujours été tiraillé entre une recherche d’institutionnalisation et le souci de demeurer underground, rappelle Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des supporters. Les UB 90, eux, jouent plutôt le côté institutionnel. Ils font partie des groupes capables de préserver un esprit ultra tout en sachant mettre de l’eau dans leur vin. Par exemple, en CFA2, ils n’allumaient pas de fumigènes pour éviter au club des amendes. »
En tribune strasbourgeoise à Colmar, un petit malin tente d’enfreindre la règle. Le malheureux allume un fumigène aussitôt étouffé au sol par des ultras. Une petite embrouille démarre. Puis s’éteint aussi vite que le fumi. Olivier, le président des UB 90, assume cette « politique » : « Tu ne peux pas soutenir ton club toute l’année et dire : tant pis si on perd des points ». D’autant que la Fédération française de foot vient de retirer un point au Racing pour « utilisation d’un laser et jet de briquet par des supporteurs locaux », dixit son communiqué.
« On peut les choper, mais dehors ! »
Si Daniel, le président du Kop Ciel et Blanc, nous assure que le coach pense avoir déjà renversé certains matchs grâce au public, ce soir rien n’y fait. Le Racing s’incline 2 buts à 1. Après le coup de sifflet final, quelques Colmariens kamikazes parviennent à atteindre le milieu du terrain avec une banderole : « A Stras’ l’argent, à nous la victoire ». En tribune strasbourgeoise, plusieurs types ulcérés montent sur le grillage en criant aux autres : « On y va ! » Un mec leur gueule dessus : « Non ! C’est encore le club qui va prendre ! On peut les choper, mais dehors ! » Plusieurs groupes s’encapuchent et se mettent à courir vers la sortie, les écharpes remontées sur le nez. Quelques heurts éclatent en tribune et devant le stade. Les bagarreurs se trouvent vite dispersés par l’intervention des CRS qui balancent leurs gaz lacrymo. Le Racing a perdu sur le carré vert. Pas en tribune.
Geoffrey Le Guilcher
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