Aux Etats-Unis comme en France, identitaires, réactionnaires et néofascistes trustent les chaînes. Le documentariste, Paul Moreira analyse ce phénomène et pointe la banalisation d’un discours sans opposants. Ou presque.
Lorsque je pose mon sac dans mon premier hôtel aux Etats-Unis, il m’arrive de m’abandonner à un plaisir coupable : je m’assois sur le bord du lit, j’allume la télé, je mets Fox News et j’attends la surprise. Fox est une chaîne de droite stridente où l’on peut raconter à peu près n’importe quoi. Pour un public français, le plus inoubliable de leurs bobards reste celui des “no-go zones”.
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En janvier 2015, après les attentats de Paris, Fox expliquait que les policiers et les Parisiens chrétiens ne pouvaient plus mettre les pieds dans des secteurs tenus par les islamistes radicaux. Ces zones comprenaient le boulevard de Magenta, Strasbourg-Saint-Denis, la gare de l’Est et la place de la République. Mogadiscio-sur-Seine ! Sous la pression d’une campagne lancée par Le Petit Journal de Yann Barthès, Fox avait été obligé de reconnaître que ces “no go zones” n’existaient pas.
https://youtu.be/u-tTHmrsXB8
Le fascisme d’aujourd’hui ne défile pas au pas de l’oie
Dans l’histoire récente, Fox News aura été la matrice d’un néofascisme où les faits sont alternatifs et secondaires. Un robinet à peurs marketé “juste et équilibré”. Le tout soutenu par une ribambelle de têtes parlantes dénuées de surmoi. Le fasciste d’aujourd’hui ne casse pas de vitrines, ne défile pas au pas de l’oie, ne brûle pas de livres. Il passe au maquillage avant de se rendre tout sourire sur le plateau d’une chaîne du câble. Il se fiche avec arrogance de la vérité et sait que le pouvoir ne se gagne pas dans la rue, mais au bout des audiences.
L’air du temps étant au repli sur soi – à chacun son identité et darwinisme social pour tous –, il est important de s’intéresser à la caricature américaine pour comprendre ce qui se passe en France. Car les ressemblances sont frappantes. Mon animateur préféré, sur Fox News, a longtemps été Glenn Beck. Ce chroniqueur à la silhouette de grizzly s’agitait seul dans un plateau bleuté. Il venait de CNN où il avait tenu une chronique hebdomadaire qualifiée de “non conventionnelle”.
Beck débordait de partout, sa voix modulait une terreur contagieuse
Fox l’a débauché, en 2008, et lui a offert une quotidienne à une heure de carrefour publicitaire où le crash n’est pas une option. La mise en scène empruntait à Qui veut gagner des millions ? : Beck débordait de partout, sa voix modulait une terreur contagieuse. Sur de grands tableaux noirs, il dessinait à la craie des schémas avec plein de flèches expliquant les conspirations sur le point de prendre le contrôle de l’Amérique. Il était l’empereur du portenawak.
Avant le 11 septembre 2001, des messages comme les siens étaient confinés aux radios en ondes courtes, à des programmes de niche bricolés par des survivalistes depuis leur garage, attendant près d’un M16 chargé le débarquement des Chinois… ou des Mexicains ; pas encore des musulmans.
Entre l’amusement, le dégoût et la colère
Sur Fox, Beck est devenu la deuxième meilleure audience de la chaîne. Il séduisait les conservateurs, l’extrême droite, les évangélistes barrés, les guerriers du week-end, les petits blancs fracassés du Middle West, mais pas seulement. Son discours no limits finit par attirer des gens de tout le spectre politique, et même de l’autre bord.
Et aussi des gens qui ne croyaient pas une seconde au scénario de film d’horreur qu’il déroulait en gesticulant. Des gens qui ne pouvaient détourner les yeux… moi, par exemple. Je le regardais en état de sidération. Entre l’amusement, le dégoût et la colère. Comme quand, enfant, je regardais le catch à quatre à la télé et que des méchants d’opérette s’en prenaient aux gentils, pendant que l’arbitre regardait ailleurs.
Je le regardais comme je regarde Zemmour ou Finkielkraut, devant lesquels, au fil de la zapette, je reste scotché. Il y a en moi quelque chose qui exige d’eux qu’ils sortent un truc énorme, transgressif. Une forme perverse de plaisir, sans doute lié à l’adrénaline. Le souci, c’est que le portenawak n’est pas seulement un spectacle. Quand le générique défile, ces mêmes fachos rebondissent de cerveau en cerveau.
Xénophobie, islamophobie, complexe de la citadelle assiégée…
Violemment anti-Obama, Beck a préparé le fond de sauce idéologique de Trump : xénophobie, islamophobie, complexe de la citadelle assiégée… Mais l’animateur avait un problème (qui me sautait aux yeux, personnellement…) : il souffrait de troubles neuropsychiatriques sévères. Tellement barré que, malgré ses audiences de rêve, Fox News a fini par le virer, en 2011.
Trois ans après, Beck est venu avouer sur CNN qu’il souffrait de dysfonctionnements cérébraux liés à ses glandes surrénales. Pendant ses années flamboyantes à Fox, il ne dormait pas la nuit. Il menait ses plateaux oscillant entre une violente douleur physique et un état d’extase islamophobe. “J’aurais pu soulever des voitures dans le studio”, a-t-il déclaré.
Il a trouvé un traitement qui lui convient et s’est assagi. Aujourd’hui, il lui arrive d’être interviewé à la télé, comme invité. Il est assis, porte une petite laine et parle calmement. Il est toujours de droite extrême, mais ses visions de coup d’Etat islamiste imminent à Washington ont apparemment cessé.
Un courant vendu sous l’étiquette “Alt-Right movement”, la droite alternative
Mais Beck est désormais dépassé. Les porteurs du fascisme moderne aux Etats-Unis se regroupent dans un courant vendu sous l’étiquette “Alt-Right movement”, la droite alternative. Ces hipsters d’extrême droite se sont mis au service de Trump avec un projet simple et smart comme un logo sur un T-shirt : “Fash the Nation” (Fash pour fasciste).
Milo Yiannopoulos, un concentré du fascisme cool
L’un de leurs leaders, Richard Spencer, dit s’inspirer très directement des “groupes identitaires” européens et notamment des Français de Génération identitaire dont ils partagent le logo. Le plus visible de ces nouveaux fascistes est le Britannique Milo Yiannopoulos, bête de mode à la chevelure péroxydée, ouvertement gay, pro-Trump, antipolitiquement correct et homophobe (oui, il y a un peu de rangement à faire dans sa tête). Milo aime la lumière et l’autorité. Il avait 300000 followers avant que Twitter ne ferme son compte. Il va débiter des provocations de plateau en plateau. Il est un concentré du fascisme cool.
C’est à peu près au moment où Glenn Beck changeait de médicaments que le flambeau a été repris chez nous. Dans la vieille Europe, les choses étaient dites avec plus de retenue, plus de manières, plus de citations littéraires. Mais le contenu avait le même parfum et la même puissance de feu : l’islam et les étrangers étaient en train de tuer notre beau pays. Pour le spectacle, on y perdait au change.
Eric Zemmour n’est qu’une version lyophilisée de Glenn Beck
Eric Zemmour n’est qu’une version lyophilisée de Glenn Beck. Alain Finkielkraut semble parfois atteint, lui aussi, de tremblements inquiétants, mais rien qui ne lui ait fait hurler à l’infiltration des islamistes à l’Elysée (pour l’instant…).Pour les programmateurs, ils avaient un gros point commun : leurs provocations disruptives généraient buzz et audience.
Riches en dopamine (hormone du plaisir) pour les réacs ou en adrénaline pour les progressistes, leurs discours livraient toujours leur décharge. Aux Etats-Unis, Glenn Beck avait trouvé un challenger : le comédien-journaliste Jon Stewart du Daily Show sur Comedy Central. Stewart avait une lecture limpide de la poussée irrationnelle ultraréac de Fox. Ils étaient fous, Beck en premier.
Stewart finit par organiser un rassemblement géant à Washington, en octobre 2010. Mot d’ordre : “Restaurer la santé mentale” (du pays – ndlr). Et c’est sans doute ici la plus grosse différence avec la France. Chez nous, au contraire, le mélange d’islamophobie, de paranoïa décliniste et d’ultraconservatisme roulant sur la jante est devenu le bruit de fond dominant du commentariat audiovisuel. Sans opposant identifié.
La fachosphère maîtrise internet et viralité
La droite identitaire est devenue à la mode. Elle oblige le reste de l’espace public à se définir par rapport à ses idées. Charles Beigbeder, grand patron habitué à poser pour des photos de nuit avec la petite faune vernie de Chez Castel, flirte avec le FN et publie Charnellement de France, un livre politique oscillant entre Reagan et Franco.
La fachosphère maîtrise internet et viralité. Des marques de fringues, comme Babtou Solide Certifié ou Atelier Parigot, jouent de leurs codes avec subtilité (ou presque). Leur maison d’édition, Ring, présente les livres de Laurent Obertone – en résumé : les hordes négro-arabes préparent la guerre et gloire à Breivik (le tueur de masse norvégien) – sous forme de vidéoclips HD léchés et matraqués sur Facebook et Twitter.
La direction du Front national est devenue totalement gay-friendly. Les cathos granitiques se sont relookés. La petite dernière, Eugénie Bastié, drape une rhétorique et une tension physique de catholique versaillaise, dans un joli perfecto noir et des positions écologistes décroissantes. On peut la retrouver sur Radio Courtoisie, débattant avec un type de l’Action française, ou dans les émissions de jeunes à la télévision.
Les fachos cool occupent la place dévolue aux rebelles fréquentables
Leurs idées (le “problème de l’islam”) se répandent comme une mauvaise grippe dans une maison de retraite. Dans les débats médiatiques, les fachos cool occupent la place dévolue aux rebelles fréquentables. Fixés sur l’identité et le genre, ils ne touchent à aucune pièce essentielle du statu quo.
Certes, ils défendent “le peuple” (pour peu qu’il soit certifié français), mais ne mettent pas leur nez dans l’évasion fiscale massive des grandes entreprises, le management fondé sur la violence, l’asservissement des agriculteurs aux centrales d’achat ou le contrôle des médias par des groupes de plus en plus concentrés. Ils tapent plutôt sur les musulmans. Pas les tueurs psychopathes de Daech ou d’Al-Qaeda. Non, les musulmans. Tous les musulmans. Ils ont souvent recours au mensonge pur et simple que nous nous évertuons à appeler postvérité.
Le mensonge s’appelle désormais “liberté de pensée”
Le champion est Eric Zemmour. Sur I-Télé, en juin 2014, il déclare : “Ouvrez le Coran à n’importe quelle page, il y a écrit : ‘Il faut tuer les chrétiens et les juifs !” La semaine suivante, il nie ces propos, “J’ai jamais dit ça”, devant Nicolas Domenach, un journaliste qui avait vérifié le bobard.
Non, le Coran ne contenait pas un appel au meurtre par page. Mais le mensonge, dans l’univers du clash et du buzz, est moins dangereux que la vérité. Il est aujourd’hui possible pour Eric Zemmour de faire passer six millions de musulmans pour des assassins potentiels, sans que cela n’ait aucune conséquence. On ne va pas s’énerver pour si peu.
Dans notre monde à l’envers, le mensonge s’appelle désormais “liberté de pensée”. Les fascistes cool ont réussi à inverser le sens des mots. Ils pillent même les héros de la gauche libertaire qui ont les premiers dénoncé la novlangue des dictateurs. George Orwell, par exemple, dont il faudrait rappeler qu’il était tellement cool avec les fascistes qu’il en a tué tant qu’il a pu, en Espagne, en 1936, avant d’avoir lui-même la gorge percée par une balle franquiste. Orwell est récupéré, entre autres, par Laurent Obertone qui dénonce La France Big Brother (2015) et glorifie le tueur d’Utoya.
“Nous sommes une minorité agissante”
Parmi ceux qui ont aidé à engendrer le fascisme cool, il y a des personnages bien plus obscurs que les habitués des plateaux télé. Le 14 mai 2011, j’ai rencontré l’un des hommes qui se vante d’avoir été le dieu horloger de l’islamophobie décomplexée : Fabrice Robert. Il dirigeait le Bloc identitaire dont se réclament les Américains de Alt-Right.
Robert est un ancien skinhead. Il a abandonné bomber et Dr. Martens, créé une agence de com et enfilé un veston bien coupé. Il a dans le regard la fixité inquiétante d’un porteur de monocle. Nous étions à Lyon, et il pleuvait des cordes sur une minuscule manif anti-islam. A peine deux cent skinheads tout mouillés, des tatouages de toiles d’araignée sur les coudes, des bombers, la petite mèche des officiers SS qu’ils aiment bien. Ils criaient : “Liberté d’expression !” A la sono, Philippe Vardon, aujourd’hui cadre au FN, beuglait un slogan qui sentait fort la déportation : “Islam hors d’Europe !” Les plus ivres avaient cassé la vitrine d’un kebab après la manif. Certains portaient des masques de cochon, leur totem.
“Nos thématiques sont reprises par l’ensemble de la classe politique”
“Nous sommes une minorité agissante, notre influence va bien au-delà de ce que vous voyez ici. Quand j’entends Claude Guéant dire dans les médias qu’il y a trop de musulmans en France, je me dis que c’est exactement ce que j’avais déclaré lors des Assises de l’islamisation. En quelques mois, nos thématiques sont reprises par l’ensemble de la classe politique.”
Bel exploit pour Vardon dont le groupuscule précédent, Unité radicale, a été dissous après qu’un de ses membres a tiré au fusil sur Jacques Chirac, alors président de la République. Fabrice Robert, lui, a été le chanteur d’un groupe oï! promettant “une balle pour les sionistes”. Aujourd’hui, il se vante d’organiser des conférences islamophobes aux côtés de la Ligue de défense juive, une organisation d’extrême droite interdite en Israël pour racisme. Il sentait que son heure était venue et citait Antonio Gramsci, le communiste italien théoricien de l’hégémonie culturelle : “Pour conquérir le pouvoir, encore faut-il conquérir les esprits avant.” Robert avait compris qu’il pouvait trouver des soutiens dans les médias.
Des “dolichocéphales blonds”…
J’ai sûrement perdu mon temps à infiltrer secrètement un groupuscule pour prouver que les idées du IIIe Reich étaient bien vivantes. Il suffisait d’allumer la télé pour entendre un délire racialiste énoncé tranquillement. En juillet 2014, Eric Zemmour (encore lui) prophétise sur I-Télé, un échec de l’équipe de foot d’Allemagne face au Brésil.
Il dit : “Ils ne gagnent plus depuis quinze ans ! Depuis que cette équipe est glorifiée par Cohn-Bendit comme la nouvelle équipe de la diversité. Ça trouble vos lieux communs antiracistes. L’Allemagne, elle ne gagnait que quand il n’y avait que des dolichocéphales blonds (…). C’est exactement comme les Français, ils sont devenus moins méchants…”
On est juste avant la demi-finale Allemagne/Brésil. Zemmour se trompe complètement, puisque l’équipe métissée allemande va pulvériser les Brésiliens (7-1)… mais là n’est pas la question. Le mot terrible que personne ne relève sur le plateau c’est : “dolichocéphales blonds”.
Issue d’une théorie eugéniste forgée dans les années 1920 par un français, l’idée était : les dolichocéphales blonds (des blonds à longue figure) étaient plus dominateurs et intelligents que les brachycéphales (des bruns plus ratatinés). Et on pouvait même envisager l’extinction des brachycéphales pour le bien de l’humanité.
Ce brave homme s’appelait Georges Vacher de Lapouge, un bibliothécaire qui avait suivi les travaux du comte de Gobineau, auteur d’Essai sur l’inégalité des races humaines, au milieu du XIXe siècle. A l’époque, cette thèse avait été traitée avec mépris par les scientifiques, mais elle devait nourrir fortement le programme des nazis.
Les programmateurs télé arguent de la liberté d’expression
Qu’est-ce qui sépare la petite cuisine foireuse de Lapouge, la leçon nazie du conférencier du Bloc identitaire et les considérations footballistiques d’Eric Zemmour ? Sur le fond, pas grand-chose. A part peut-être quelques centaines de milliers d’auditeurs. En décembre 2014, Zemmour est viré d’I-Télé après une énormité de trop. Il travaille toujours sur RTL, anime un talk-show sur Paris Première et travaille pour Le Figaro magazine. Il passe dans tous les médias à chacun de ses livres, même quand il s’agit juste d’un coup d’agrafeuse sur un tas de chroniques déjà diffusées.
Interrogés, les programmateurs ont tous le même discours : liberté d’expression, pluralisme des points de vue. Et, argument noble, le facteur vampire : exposez-le en pleine lumière, il va s’autodétruire. Les études et les élections attestent une montée d’un sentiment nationaliste très fort dans le public et il serait dangereux de se couper de l’audience.
Soyons cyniques. OK, c’est logique, dans un pays où 25% de la population votent Front national, il faut entendre cette voix-là. Quitte à la faire grandir un peu plus. En ce qui me concerne, je ne suis pas loin d’être d’accord. Chacun doit pouvoir accéder aux médias. La peur de l’avenir et de l’étranger étant assez répandue aujourd’hui, elle doit pouvoir s’exprimer. Même dans la caricature la plus grimaçante.
Mais où sont les contradicteurs ?
Mais alors, pour le bien du show, où sont les contradicteurs ? Si en Zemmour on a trouvé le Glenn Beck français, où est son Jon Stewart ? Les rangs des grandes gueules de gauche se sont clairsemés en vieillissant. Ou ils ont muté suite à la chute de testostérone.
A la place, on croise la figure médiatique désormais familière de l’homme-de-gauche-de-droite. Vous ne pouvez pas le louper, il est partout. On le reconnaît aux signes distinctifs du penseur de gauche : le cheveu long et dépeigné, le pull col en V, jamais de cravate. Mais c’est une illusion d’optique, il vient en fait défendre l’ordre moral et la guerre.
Comment se fait-il qu’il n’y ait que les humoristes pour porter le fer ?
Le courant néoconservateur français a créé un étrange biotope médiatique où tous les repères sont troublés. Elisabeth Lévy de Causeur, travaillait à Globe, un journal de la gauche parisienne. Elle en a gardé l’allure, mais aujourd’hui elle brandit le sacre de Reims comme marqueur chimique de la francitude vraie (je suis d’accord pour expulser tous ceux qui ne connaissent pas le sacre de Reims, ça fera de la place pour se garer).
J’ai le souvenir clair de Romain Goupil, en mai 2003, dans les couloirs de Canal+ où il venait d’être invité pour un débat (par moi…). Je le revois clamant : “Donald Rumsfeld, c’est un bolchevik !” (Rumsfeld, le secrétaire à la Défense de George W. Bush, venait de diriger l’invasion de l’Irak pour éradiquer des armes de destruction massive… inexistantes). Goupil avait signé, avec Pascal Bruckner, un texte de soutien à l’invasion américaine en Irak. Guerriers impitoyables qui n’ont jamais respiré la pestilence des corps abandonnés par le passage d’une armée aveugle.
Aujourd’hui, la “décence commune” est entre les mains des humoristes
Les voix d’en face existent, certes. Mais elles semblent parler depuis un bunker et doivent sans cesse se défendre du soupçon d’être “bien-pensants, politiquement corrects et islamo-gauchistes”. Aujourd’hui, la “décence commune”, comme dirait Orwell, est entre les mains des humoristes. Ils portent, comme on dit, la politesse du désespoir.
Affranchis par le rire, ils font sortir les nouveaux réacs de leur posture cool. C’est à la comique Charline Vanhoenacker qu’Elisabeth Lévy se réfère quand elle hurle au micro d’une radio : “Je refuse d’être diffusée dans l’émission de cette connasse, vous pouvez lui dire. De cette CONNASSE !”
Comment se fait-il – question finale, voire ultime… – qu’il n’y ait que les clowns pour porter le fer contre ce courant hégémonique ? Il m’a semblé en saisir la raison, au fil d’un débat sur BFM TV, chez Ruth Elkrief, le 2 mai 2016. La jeune Eugénie Bastié, nouvelle amazone hype de la droite catho dure, était face à Caroline de Haas, ex-figure de la gauche du PS.
Eugénie a une obsession : dégommer le mariage pour tous et la gauche libérale. Comment croyez-vous qu’elle s’y prenne ? Pas d’excommunication, pas de croassement de grenouille de bénitier. Pour détruire le mouvement Nuit debout, Eugénie lâche une phrase sur un terrain (le peuple, la classe ouvrière) qu’elle sait légèrement délaissé par la gauche de gouvernement : “Vous savez, dit-elle, ce que disait Pasolini aux étudiants italiens en 1968 ? Il avait sa carte au Parti communiste, mais il leur disait : ‘Pendant que vous vous battiez avec les policiers, moi je fraternisais avec eux, parce qu’eux sont fils de pauvres…” Une catho tradi sortant de sa manche un poète communiste gay italien pour crier son amour de la police parisienne : c’est stylé… ou pas ?
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