Agathe Cagé est secrétaire générale de la campagne du candidat PS, Julia est l’une de ses conseillères économiques. A 33 ans, la “techno” et “l’intello” veulent changer la politique. Rencontre.
Jeudi 9 mars, Benoît Hamon passe le grand oral de L’Emission politique de France 2 pour la deuxième fois. Le candidat socialiste doit relancer une campagne étouffée médiatiquement par ses adversaires et les critiques dans son propre camp.
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Sur le plateau, face à David Pujadas et François Lenglet, il s’explique sur sa mesure phare qui a tant séduit pendant la primaire de gauche, le revenu universel. Dans le public, assise à gauche de l’ex-candidat EELV Yannick Jadot, se tient Julia Cagé, l’économiste chargée d’en détailler le plan de financement.
Au QG de Benoît Hamon, dans le Xe arrondissement de Paris, sa sœur Agathe regarde la prestation de son candidat depuis son bureau. Après de brillantes études, les jumelles de 33 ans occupent aujourd’hui des postes stratégiques dans la campagne de Benoît Hamon.
“Agathe est capable de travailler trente heures par jour”
Emmitouflée dans un blouson aviateur posé sur un sobre costume gris, Agathe Cagé s’extirpe de son bureau. Elle a été nommée secrétaire générale de la campagne. “Je fais tourner la boutique”, traduit-elle, soit une PME de cinquante personnes à faire mouliner quasi 24 h/24 jusqu’à l’élection présidentielle.
“Je ne connais personne d’une telle résistance physique, elle est capable de travailler trente heures par jour”, précise Julia Cagé qui a intégré l’équipe de campagne comme conseillère économique avec six autres personnalités issues de la société civile – comme l’économiste Thomas Piketty (son compagnon) ou la sociologue Dominique Méda. “Ce n’est pas désagréable quand les journalistes parlent de Julia et moi, rigole Agathe Cagé. C’est toujours moins pénible que ‘sœur de’ ou ‘femme de’… ‘Belle-sœur de’ dépasserait le seuil du supportable !”
“Il me faut telle mesure chiffrée dans 1 h 30”
“Agathe m’envoie ce genre de texto : ‘Il me faut telle mesure chiffrée dans 1 h 30’, mais comme je suis sa sœur, elle oublie parfois le s’il-te-plaît”, s’amuse Julia Cagé. Le 7 mars, elle a accompagné Benoît Hamon dans son déplacement à Marseille pour intervenir durant le meeting sur le volet économique.
Un mois plus tôt, le jour de l’investiture du candidat à la Mutualité de Paris, déjà, la jeune économiste était montée à la tribune délivrer cette confidence à l’accent mitterrandien : “Quand j’ai commencé l’économie, j’avais un désir un peu fou, celui de changer la vie.”
“Benoît défend un projet alternatif porteur de sens”
Au même moment, Agathe Cagé faisait ses cartons au ministère de l’Education nationale où elle a officié deux ans et demi, dont cinq mois sous les ordres de Benoît Hamon. “Un très bon ministre et un très bon patron”, tranche-t-elle avant d’ajouter : “C’est un candidat vraiment de gauche, Benoît défend un projet alternatif porteur de sens à l’inverse de Macron.” “Il me redonne goût à la politique”, s’enthousiasme Julia Cagé.
Julia se définit comme une “intello engagée”, Agathe comme une “techno engagée”. “La fonction publique ? Une évidence pour transformer les choses”, estime Agathe. “J’aime la liberté du chercheur, du travail plus solitaire, sans patron, sans contrainte”, précise Julia.
Les deux jeunes femmes ont grandi à Marseille dans une famille de gauche non militante, issue de la classe moyenne. Leur père ingénieur et leur mère au foyer leur inculquent l’ouverture d’esprit et l’importance de l’ascenseur social et, dès l’adolescence, elles “partagent le même combat politique vers un monde plus égalitaire”, confie Agathe. Il y aura aussi la musique : le violoncelle pour Agathe et le piano pour Julia. En vingt ans de conservatoire, on apprend la virtuosité.
“Parmi tous les étudiants, Julia était de loin la plus travailleuse”
Les sœurs réussissent ensemble en 2005 le concours ultrasélectif de Normale sup (25 places) où elles créent une petite sensation – “parce qu’on venait de Marseille”, estime Julia aujourd’hui. Marseille certes, mais fois deux. Les cours de lettres et philo des premiers mois ne plaisent pas à Julia Cagé. Elle a le déclic lors d’une conférence de l’économiste Daniel Cohen au Collège de France. Dans sa jeunesse, elle a dévoré Le Siècle des intellectuels de Michel Winock. Elle reconnaît chez Cohen “cette figure de l’intellectuel engagé à gauche”. Elle a trouvé sa vocation. Cohen lui dégote une place en licence d’éco à Paris I.
Après l’ENS, Julia Cagé soutient deux thèses sur l’économie des médias, l’une à Paris et l’autre à Harvard, où elle étudie dès 2008. “Parmi tous les étudiants, elle était de loin la plus travailleuse”, se souvient son directeur de thèse, Nathan Nunn.
Elle dispense aujourd’hui un cours sur les futurs médias à Sciences-Po et un cours sur l’aide au développement à l’Ecole des affaires internationales. Elle publie en 2015 un livre au titre ambitieux : Sauver les médias – Capitalisme, financement participatif et démocratie (Le Seuil). Elle y défend un nouveau statut pour résoudre la crise des médias : la “société de média à but non lucratif”.
Agathe Cagé devient directrice de cabinet adjointe de Najat Vallaud-Belkacem
Pendant que Julia trouve sa voie dans l’économie, Agathe réussit l’ENA et, deux ans après sa sortie, entre au ministère de l’Education nationale. Elle sera chargée du second degré avant de finir directrice de cabinet adjointe de Najat Vallaud-Belkacem.
“Une bosseuse comme il y en a peu, rigoureuse, stimulante”, décrit Jonathan Debauve, en charge de la communication du ministère. Parmi ses livres de chevet, on trouve Les Mains sales de Jean-Paul Sartre, Introduction à la critique de l’économie politique de Karl Marx ou les romans d’Annie Ernaux.
Parallèlement à leurs études, en 2008, Agathe et Julia Cagé créent, à 24 ans, un think tank ancré à gauche et réservé aux moins de 35 ans, Cartes sur table. A l’époque, Agathe écrivait des notes pour d’autres laboratoires progressistes comme Jean-Jaurès ou Terra Nova. “La tendance française à la noblesse d’Etat fermait la porte à d’autres collègues moins diplômés que moi mais très compétents, constate-t-elle alors, cela m’a donné envie de permettre à une nouvelle génération d’éclore.”
“Agathe a une grande ouverture d’esprit, une forte capacité à jouer collectif”
Agathe Cagé dirige aujourd’hui Cartes sur table avec l’avocat Jean-Christophe Ménard. “J’ai découvert un think tank à taille humaine, réactif, capable de produire des idées nouvelles et sans querelles d’ego”, raconte ce dernier. A l’image de sa fondatrice, estime l’avocat : “Agathe a une grande ouverture d’esprit, une forte capacité à jouer collectif, elle est habitée par la volonté de changer les choses. Le mot impossible n’existe pas chez elle.”
“Il y a une incompréhension forte entre le monde de la recherche et celui du politique”
Agathe Cagé boucle en ce moment une thèse de philosophie politique sur le rôle des acteurs hybrides entre le monde de la recherche, de la pensée et de la politique – comme le généticien Axel Kahn. “Ma thèse est une mise en abyme de ce que je fais aujourd’hui”, estime Agathe Cagé avant de préciser : “On a des difficultés à transformer et réformer le pays car il y a une incompréhension forte entre le monde de la recherche et celui du politique. En 2012, Thomas Piketty s’était mis en surplomb du débat public avec sa proposition de révolution fiscale. Résultat ? Aucun politique n’a porté sa mesure.”
Elle confie son admiration pour l’action – “pas les idées” – d’Emmanuelle Mignon auprès de Nicolas Sarkozy : “Elle a fait le lien entre le monde de la recherche et celui de la politique pendant la campagne de 2007, c’est en partie pour ça qu’il a gagné.”
Julia Cagé avait pour mission de détailler le plan de financement du revenu de base. Jeudi dernier, le candidat a changé de braquet : exit l’idée d’un revenu universel de 600 euros par mois pour tous les 18-25 ans, engagement défendu dans la primaire.
“Quand on fait une campagne présidentielle, c’est pour la gagner”
Le candidat place cette aide sous condition de ressources, elle ne concernera de manière dégressive que ceux qui gagnent en dessous de 1,9 fois le Smic. Cela pour un coût de 35 milliards d’euros par an. De quoi agacer les tenants de l’universalité ou conforter les sceptiques sur sa non-faisabilité.
Une séquence clé s’ouvre cette semaine pour Benoît Hamon avec son grand meeting à Bercy le 19 mars et le débat le 20 mars sur TF1. Deux occasions de remobiliser les voix de gauche alors qu’il stagne dans les intentions de vote entre 13 et 16 %, loin derrière Emmanuel Macron et à peine au-dessus de Jean-Luc Mélenchon. “Quand on fait une campagne présidentielle, c’est pour la gagner. Il ne faut pas oublier que Jospin a perdu une campagne en quinze jours. On peut aussi la gagner en quinze jours”, tranche Agathe Cagé.
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