1. Pourquoi les calamiteux effets sociaux de l’austérité européenne ne profitent-ils pas plus aux différents mouvements de la gauche radicale ? Pourquoi est-ce une extrême droite nationaliste telle que le Front national qui paraît tirer les marrons du feu – alors que sa dose d’anticapitalisme est trop ténue et récente pour ne pas être purement […]
1. Pourquoi les calamiteux effets sociaux de l’austérité européenne ne profitent-ils pas plus aux différents mouvements de la gauche radicale ? Pourquoi est-ce une extrême droite nationaliste telle que le Front national qui paraît tirer les marrons du feu – alors que sa dose d’anticapitalisme est trop ténue et récente pour ne pas être purement cosmétique et circonstancielle ? Pourquoi, pour simplifier à outrance, Marine Le Pen est-elle créditée de beaucoup plus de suffrages sondagiers que Jean-Luc Mélenchon ? Passée la déception relative qu’a constituée le score du Front de gauche à la dernière présidentielle (11,10 %), surtout comparé à celui du FN (17,90 %), une certaine morosité continue de régner à la gauche de la gauche. D’autant que Mélenchon lui-même ne s’est jamais privé de désigner son adversaire idéologique ultime et son principal concurrent électoral : “Nous avons le sentiment d’être dans une course de vitesse avec l’extrême droite. Le peuple qui rejette le système choisira entre notre réponse et la leur.” (Sud-Ouest, 23 mars 2013)
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2. Citation tirée d’un livre qui tombe à point nommé : La Gauche radicale et ses tabous, sous-titré “Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national” (Seuil, en librairie le 2 janvier). Son auteur, Aurélien Bernier, fait depuis longtemps partie du sérail alter et écolo. Membre d’Attac puis du M’PEP (Mouvement politique d’émancipation populaire), il collabore régulièrement au Monde diplomatique. Selon lui, les tabous de la gauche radicale sont au nombre de trois : l’Europe, l’Etat-nation et son rôle régulateur, et l’idée de protectionnisme. C’est sur le premier point qu’il est le plus convaincant, quand il explique comment le vieux PCF, qui cultivait volontiers un nationalisme économique intransigeant jusqu’aux années 90, est devenu de plus en plus “euroconstructif”, jusqu’à participer au gouvernement de “gauche plurielle” de Lionel Jospin entre 1997 et 2002, se pliant au fédéralisme bruxellois de leur partenaire socialiste et entérinant ainsi le passage à l’euro ou la déréglementation des services publics. Bernier rappelle aussi à quel point la campagne du référendum de 2005 (sur le traité établissant une constitution pour l’Europe) fut un débat populaire de haute tenue, qui apporta orgueil et identité à la gauche radicale, avant son effondrement électoral de 2007, puis la ratification parlementaire du traité de Lisbonne, pied-de-nez oligarchique à la victoire du “Non” du 29 mai 2005. “Ce passage en force de la droite, avec les voix ou l’abstention complice d’une partie des socialistes, prouve que les dirigeants des deux grands partis n’ont aucunement l’intention de changer le contenu de la construction européenne et qu’ils n’ont pas plus l’intention d’écouter la voix du peuple. On voudrait pousser les électeurs dans les bras de l’extrême droite qu’on ne s’y prendrait pas autrement.”
3. Anti-bruxellois enragé et démondialisateur patenté, protectionniste et internationaliste, opposé à “l’obsolescence de la souveraineté nationale” et ouvertement étatiste, Bernier a le mérite de mettre la gauche radicale devant ses hésitations de toujours. Il exige de la clarté. Et on ne pourra guère lui reprocher d’éviter les vrais clivages du moment : austérité libérale contre restes d’Etat-providence, entre-deux français à la sauce Hollande contre modèle inégalitaire allemand – qui continue de donner le la de la gestion européenne et interdit toute reprise réelle. “La grande question politique est de savoir dans quel sens va s’orienter l’expression populaire : vers la gauche radicale, vers le national-socialisme de Marine Le Pen ou vers le refus de participer au jeu électoral.”
Frédéric Bonnaud
Au sommaire des Inrocks cette semaine : La jalousie selon Garrel ; Orelsan, casseur cool ; Hedi Slimane, rock in L.A. ; Breaking Bad, le bilan. Le magazine est disponible en kiosque et dans notre boutique en ligne.
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