C’est finalement Bernard Blistène qui a remporté la mise et prendra le relais en décembre prochain d’Alfred Pacquement à la tête du musée national d’Art moderne (Mnam), la principale entité du Centre Pompidou. Une surprise de taille puisqu’il n’était plus depuis le printemps dernier dans le petit groupe des pressentis qui comptait alors l’Autrichien Max […]
C’est finalement Bernard Blistène qui a remporté la mise et prendra le relais en décembre prochain d’Alfred Pacquement à la tête du musée national d’Art moderne (Mnam), la principale entité du Centre Pompidou. Une surprise de taille puisqu’il n’était plus depuis le printemps dernier dans le petit groupe des pressentis qui comptait alors l’Autrichien Max Hollein, l’Allemande Marion Ackermann et les Français Catherine Grenier, actuelle directrice adjointe du Mnam, et Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou Metz, qui ont tenté la dernière semaine un ticket double.
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Mais cette nomination est logique quand on connaît les qualités de ce faux outsider né en 1955 qui fonda le MAC de Marseille au début des années 90, fut directeur adjoint du Mnam de 1996 à 2002, mis sur pied la manifestation triennale de la Force de l’art au cœur des années 2000 et créa le Nouveau Festival en 2009 qui permit à Beaubourg de renouer avec son utopie transdisciplinaire originelle.Il livre dans cet entretien exclusif avec Les Inrocks les premières lignes directrices de son projet pour le Mnam.
– Quelles sont selon vous les révolutions qui attendent le Mnam ? Ou plus simplement quels sont les chantiers qu’il va devoir entreprendre dans les prochaines années ?
Bernard Blistène – Au cœur du Centre Pompidou, le musée national d’Art moderne sous la houlette d’Alfred Pacquement et se ses équipes, et le département du développement culturel que je quitte, n’ont cessé ces dernières années de se transformer et d’inventer. Il ont sans doute retrouvé de l’agilité, porté en cela par une forte volonté de transversalité voulue par le président du centre Alain Seban. Faut-il redire ici que le premier défi, comme le rappelle sans cesse celui-ci, est celui du monde global ? Faut-il redire aussi qu’il est du devoir du Centre Pompidou de contribuer à construire une alternative au récit dominant ? Il nous appartient d’élaborer sans tarder une méthode commune afin de proposer tant sur le plan de l’exposition, de la collection que de la médiation une manière de travailler conjuguant toutes les forces vives de l’établissement – et elles sont nombreuses – autour de grands axes et de grands thèmes qui seront autant de lignes de forces spécifiques permettant d’affirmer une position singulière.
Le musée a une histoire et c’est au regard de cette histoire qu’il doit envisager son futur. Il est également porteur de valeurs universelles qui nous sont communes et qui me sont chères. Il nous faut les défendre. Il n’y a rien de grandiloquent à le dire. Tous les musées ne doivent pas se ressembler. Le musée national d’Art moderne ne doit pas craindre de faire des choix et de les affirmer. Les chantiers que vous évoquez sont nombreux.
Accompagner par tous les moyens la scène française et la scène contemporaine, nouer des partenariats nationaux et internationaux, exporter notre formidable savoir-faire, valoriser l’expertise des équipes, s’imposer comme un centre de production et de diffusion du savoir, renforcer l’esprit d’équipe et de cohésion autour d’un projet commun qui s’inscrit dans celui de l’établissement, diversifier les sources financières et tenter d’inventer une nouvelle économie de moyens, reconstituer un espace public où chacun puisse développer sa connaissance du sensible, relever le défi du numérique… La tâche est d’autant plus passionnante qu’elle ne peut se jouer – j’en suis convaincu – qu’au sein d’un lieu comme le Centre Pompidou.
Pensez-vous comme Catherine Grenier qu’il faille décentrer les collections, les ouvrir à d’autres scènes et d’autres récits de l’art ?
Après Bruno Racine, son prédécesseur, Alain Seban a insisté avec force sur l’enjeu de la mondialisation et l’a inscrit au cœur de la stratégie du Centre Pompidou. Nous sommes tous convaincus que c’est aujourd’hui la priorité absolue. Qui pourrait cautionner une vision ethnocentrée de l’art ? Il y va d’une conscience de la diversité du monde et de la pluralité des récits qui permettent de la comprendre et d’en rendre compte. Le décentrement que vous évoquez n’est pas seulement géographique. Il est aussi un décentrement intérieur, celui qui rend sensible le musée à la diversité des êtres. Plusieurs projets récents en ont, il me semble, rendu compte.
Depuis 2009, vous orchestrez dans le cadre du département du développement culturel le Nouveau Festival, une manifestation décloisonnée, vivante, qui a largement contribué à réveiller Beaubourg. Le Nouveau Festival va-t-il perdurer ? Imaginez-vous poursuivre ce genre d’activités sous une forme renouvelée ?
A la demande d’Alain Seban, nous avons inventé avec l’équipe du département du développement culturel, un rendez-vous renouant avec les fondamentaux pluridisciplinaires du Centre Pompidou. Nous l’avons conçu ensemble comme une plateforme propre à explorer la diversité des territoires de la création visuelle d’aujourd’hui. La cinquième édition du Nouveau Festival ouvrira en février prochain. Elle est résolument différente des précédentes puisque tel était l’enjeu fixé par le président. Il nous appartient désormais de réfléchir à son évolution future.
Le Nouveau Festival ne saurait s’installer dans la routine. Pensé comme un projet stratégique, il devra sans doute se transformer. Mais je sais qu’il a initié une méthode offrant aux créateurs comme à ceux qui les accompagnent la possibilité d’une réflexion sur la notion d’exposition, sur l’idée d’une pensée transversale propre au Centre et qu’il a permis, choses essentielle, de travailler ensemble, de trouver le mouvement en marchant. Il y a là un enseignement que, de fait, nous ne saurions voir disparaître mais, au contraire, faire fructifier.
On connaît votre influence en tant que professeur à l’Ecole du Louvre et l’attention que vous portez à la jeune scène critique et curatoriale. Comment imaginez-vous entretenir ces relations et donner de la place à cette jeune garde au sein du Mnam ?
Je ne me savais pas “oseur d’influences” [expression de Marcel Duchamp-ndlr]. ! Et je ne vois pas comment le conservateur que je suis pourrait être en prise directe avec la création vivante sans porter toute son attention à ceux qui la font, critiques et commissaires d’expositions compris ! Au poste qui est désormais le mien, on a autant de plaisir à faire qu’à faire faire. Je ne vois pas pourquoi je changerai d’idée. Une institution de l’ampleur du musée national d’Art moderne est évidemment un lieu où la parole doit être offerte à des voix extérieures. Mais il m’importe ici de réaffirmer ma confiance et mon admiration pour les équipes du musée national d’Art moderne avec lesquelles je vais avoir la chance de travailler. Il faut qu’ensemble, nous nous ouvrions toujours davantage à des échanges de toute nature et que le musée national d’Art moderne soit un lieu poreux à de multiples expériences.
Quelle place souhaitez-vous donner au Mnam sur la scène internationale ?
Ce qui importe sans doute avant tout est que le musée national d’Art moderne tienne sa place au cœur du Centre Pompidou – place qui ne peut être que la toute première – et qu’il porte une voix singulière. Le musée national d’Art moderne, de par sa collection avec laquelle il va nous falloir amplement travailler, est une institution à même de faire entendre et comprendre que la connaissance du présent ne saurait se passer de la conscience de l’histoire. Il doit être un espace sensible aux débats des idées du monde tel qu’il va, en fait une autorité à même d’engendrer des valeurs et ce, dans tous les sens du terme. Parlons, si vous le voulez, d’une éthique du musée.
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