Le pire ennemi de Jean-François Coen porte un numéro : 5 099747 392627. Il ressemble également aux barreaux d’une prison, la plus odieuse qui soit pour un chanteur, celle du commerce. Il s’agit du code barre de son premier album, publié en 1993 et salué par acclamation générale comme l’un des plus séduisants réservoirs à […]
Le pire ennemi de Jean-François Coen porte un numéro : 5 099747 392627. Il ressemble également aux barreaux d’une prison, la plus odieuse qui soit pour un chanteur, celle du commerce. Il s’agit du code barre de son premier album, publié en 1993 et salué par acclamation générale comme l’un des plus séduisants réservoirs à romances ébréchées, parfois d’un humour à fendre les pierres, de ce que l’on n’appelait pas encore la « nouvelle chanson française ».
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On explique : porté par un clip prodigieux signé Michel Gondry illustrant à l’aide d’enseignes lumineuses la non moins lumineuse chanson La Tour de Pise, le premier album de ce trentenaire bien entamé aurait normalement dû casser la baraque. Et puis patatras, une erreur de code l’a rendu indisponible chez les disquaires, qui ne peuvent le commander pendant plusieurs mois. Le temps que la bourde fatale ne finisse par être découverte et réparée, la carrière de La Tour de Pise s’est effondrée et le nom de Jean-François Coen s’est dissipé de la liste des priorités de la fautive maison de disques.
Avant le retour imminent de Baer, quelques mois après celui ? triomphal ? de Daniel Darc, c’est donc Coen qui réapparaît alors qu’on ne l’espérait plus. Un nouvel album, onze chansons, une par année d’absence. Après ce déluge de merde, le nouveau disque s’intitule donc Vive l’amour, fallait bien ça. On va beaucoup l’user, celui-là aussi, même si les premières écoutes laissent légèrement perplexe. Ça ressemble quand même beaucoup à un disque enregistré par quelqu’un qui n’a pas mis le nez dehors depuis dix ans, qui n’a pas écouté un disque nouveau durant la même période et qui revient comme il était parti, avec juste quelques contusions supplémentaires sur les sentiments. Ça n’y ressemble pas : c’est exactement ça. Nous voilà prévenus.
La chanson titre de Vive l’amour, qui ouvre l’album par un doux fracas, fut écrite il y a longtemps pour Dutronc et on comprend pourquoi. Cette charge sur la morgue opportuniste des chanteurs à minettes aurait parfaitement collé à la langue de vipère du Dean Martin corse. Ensuite, Calamity Jane rappelle l’inoubliable Roy Bean du premier album et inaugure une bonne série de chansons qui tapent un peu désespérément sur les filles (Tu causes, La Cuniculiculture, Casse-toi, Ulysse et Pénélope?), laissant planer sur l’album un parfum de misogynie gainsbourienne.
Musicalement, il y a quelque chose de flippant chez Jean-François Coen, dont les instruments sont trop bien rangés pour être honnêtes, les mélodies trop ordonnées pour ne pas masquer leur profond dérèglement, leur impossible quiétude. D’où ce sentiment parfois, notamment sur l’aérien La Nuit tout est mieux, que les mots les plus mièvres vous remontent dans le dos comme des chenilles venimeuses, parce que la musique qui les propulse demeure joliment insaisissable, étrangement fantôme.
En tout cas, son meilleur ami du moment porte lui aussi un numéro : 3 298498 014112. Il ressemble vaguement à l’amorce d’une piste de décollage. C’est le code barre de son second album. Vive l’amour !
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