Nine Antico rafraîchit l’univers de la BD frenchie et dynamite le rayon girlie avec ses héroïnes drôlissimes, son ton acidulé et son trait vintage.
« T ‘imagines un peu si on était grosses… – Je crois que je le vivrais très mal. – On serait obligées d’être hyper sympa. – Ou drôles… »
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Ce dialogue au couteau donne le ton de Girls Don’t Cry, le nouvel album de Nine Antico. La jeune auteur de 29 ans y dissèque avec finesse et humour les préoccupations d’un trio de demoiselles impertinentes, Marie, Pauline et Julie. A travers des saynètes en une planche qui finissent par former un récit homogène, elle raconte les relations amoureuses bancales, les petits machiavélismes de l’amitié entre filles. Nine Antico, qui dessine depuis toujours « des gens, des robes, et des filles en robe », a longtemps mûri son art.
« Je n’ai pas été élevée dans l’amour de la BD. Chez nous, il y avait deux Astérix et trois Lucky Luke. C’est arrivé au fur et à mesure. Je croquais mes copines, les bêtises qu’on se racontait. Un jour, j’ai commencé à découper un dialogue et c’est venu tout doucement, comme ça », se rappelle-t-elle.
Cette fan de rock aime dessiner ses idoles en concert, qu’elle montre dans son fanzine Rock This Way, dans le recueil Too Drunk to Do the Show. Devenue attachée de presse aux éditions Cornélius, elle découvre Charles Burns, Ludovic Debeurme, Daniel Clowes. En 2008, elle choisit de se consacrer pleinement à la BD avec Le Goût du paradis, un roman (autobio)graphique plein d’esprit, sélectionné au Festival d’Angoulême. Après avoir étoffé sa narration dans Coney Island Baby, biographie croisée et fantasmée de la pin-up Betty Page et de l’actrice porno Linda Lovelace, elle affirme aujourd’hui son style, subtil et raffiné, dans Girls Don’t Cry – deux titres empruntés au rock, le premier à Lou Reed, le second à Cure, parce que Nine aime « le pouvoir d’évocation des chansons ».
Avec Girls Don’t Cry, on est loin des stéréotypes et des situations convenues de la bande dessinée « de fille ». Ici, pas de mièvreries à la Bridget Jones. Ses héroïnes ont la langue bien pendue, assassinent leurs camarades de cours en deux mots, sont pestes entre elles, acerbes et désenchantées avec les garçons. Mais elles ne sont pas écervelées, ne surjouent pas leur rôle de fille. Girls Don’t Cry est aux antipodes de la production actuelle et de ses personnages clichés, où Nine Antico ne se reconnaît pas :
« C’est exactement là où on nous attend. On dirait du marketing pour magazine féminin. »
Sa hantise? Etre « cucul » et classée dans les BD « girlie » à la Fnac.
Ce qui rend sa nouvelle oeuvre si élégante tient dans cette façon qu’a Nine Antico de seulement suggérer. De Marie, Pauline et Julie, aux visages esquissés, aux corps déliés, on ne sait pas grand-chose. Elles ne sont pas accrochées à leur portable, ne chatent pas sur MSN, sont soucieuses de leur apparence sans être accro du shopping, sans fantasmer devant des marques « glamour » ou des séries US.
Nine Antico laisse du blanc, de l’espace autour de ses personnages, faisant ainsi de la place à l’imagination.
« Je voulais que ce soit intemporel pour que ça ne se démode pas. Géographiquement, j’essaie de localiser le moins possible, parce que ce n’est pas important. Est-ce qu’elles habitent seules, chez leurs parents? J’aime que cela reste incertain. »
Le côté hors du temps de Girls Don’t Cry est renforcé par son dessin rétro, par ses couleurs (qu’elle a faites elle-même pour la première fois) aux magnifiques teintes automnales.
Les préoccupations de Marie, Pauline et Julie tournent souvent autour de la séduction (vais-je lui plaire? teinture vénitien suprême ou vénitien glossy? comment gérer le lendemain matin?…), mais il y a de la distance et de l’ironie dans le propos.
« Mes héroïnes ont un côté méchant. Mes personnages sont très inspirés de mon entourage et de moi-même. Je sais que j’ai mauvais esprit, je vois un peu le mal partout », rit-elle.
Nine Antico observe, capte l’air du temps, enregistre les répliques imparables. Elle s’en amuse :
« Dans mes carnets, je note quand j’ai passé la nuit avec quelqu’un. Même si ça a été pourri, je sais que je vais pouvoir en tirer un truc que je pourrai injecter quelque part… »
Comme Riad Sattouf avec ses adolescents pris sur le vif, Nine fait parler Marie, Pauline et Julie avec naturel et sans affectation.
Mais derrière les remarques acides et les moqueries, il y a aussi une réflexion sur la féminité aujourd’hui : comment concilier le fait d’être un esprit libre et de vouloir plaire, dans quelles limites peut-on faire des concessions pour séduire?
« Je voulais parler de femmes qui avaient choisi de jouer de leur séduction et d’en faire un métier. C’était une extrapolation de mes préoccupations : quand tu es une femme et que tu séduis, qu’est-ce que tu renvoies comme image, est-ce celle que tu as envie de transmettre? Moi, quand j’étais plus petite, je ne pensais pas que je serais une jeune femme mettant des jupes, du rouge à lèvres, du vernis. Comment en arrive-t-on là? »
Girls Don’t Cry (Glénat), 56 pages, 13€
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