Honteusement sous-estimé, le troisième album des Dexy’s rouvrait, après Van Morrison, l’axe Dublin-Memphis. Un article récent d’un magazine anglais sur “les disques qui auraient mieux fait de ne jamais voir le jour” plongeait Don’t stand me down parmi cette fosse commune peu ragoûtante de bévues discographiques et autres ratages historiques. Il en va ainsi depuis […]
Honteusement sous-estimé, le troisième album des Dexy’s rouvrait, après Van Morrison, l’axe Dublin-Memphis.
Un article récent d’un magazine anglais sur « les disques qui auraient mieux fait de ne jamais voir le jour » plongeait Don’t stand me down parmi cette fosse commune peu ragoûtante de bévues discographiques et autres ratages historiques. Il en va ainsi depuis la parution, en 85, de ce troisième volet largement incompris des aventures transformistes de Kevin Rowland, dont le défaut majeur est de n’être qu’un peu moins immédiatement époustouflant que ses deux prédécesseurs. Le litige démarra avec la pochette et ce look témoins de Jéhovah emprunté en réalité par le groupe aux Ivy Leagues américaines, ces universités privées de la Côte Est dont Rowland, prolo de souche irlandaise, aimait depuis l’enfance le chic pincé et le genre sévère. Après l’impeccable dégaine Mean Streets des Soul Rebels, les salopettes pouilleuses des Celtic Brothers, les Dexy’s Midnight Runners n’apparaissant plus qu’en trio sur les photos tendaient clairement avec cette incarnation nouvelle leurs joues fraîchement rasées pour se faire baffer. Du reste, les paumes vengeresses ne manquèrent pas pour s’adonner à la jouissive besogne de claquer celui que la presse jugeait depuis le départ vaniteux, mégalo et méprisant, mais dont le génie jusque-là incontestable avait retardé l’heure inévitable de la curée. Celle-ci venue, profitant d’une baisse de régime soudaine mais, comme on le verra, tout à fait relative , ses effets furent dévastateurs : affublés de noms d’oiseaux exotiques Mormons, représentants de commerce, rabatteurs de sectes , les Dexy’s plièrent et rompirent avant même d’organiser une riposte. Rowland se refusa à faire la promotion d’un album condamné par avance, préférant épingler la première phrase prononcée sur le disque comme l’épitaphe de ses relations au monde extérieur : I don’t want sympathy. Avec The Occasional flicker s’entame ainsi le dernier tour d’honneur chaotique d’un surdoué à l’orgueil blessé, réfugié dans la parano aiguë, qui offre sa chute en spectacle durant sept morceaux souvent interminables qu’on jugera poignants avec le bénéfice des années après les avoir trouvés simplement agaçants et bavards à leur sortie. Si l’on consent à perdre légèrement le sens des proportions, Don’t stand me down est un peu le What’s going on de Kevin Rowland, son oeuvre la plus autoréflective, en rupture radicale avec tous les standards de son époque, l’une des plus ferventes à n’avoir jamais croisé nos tympans durant les années 80. Le chant de Rowland y est plus van-morrisonien que jamais, avec ses accès de bile, ses feulements, sa révérence sincère pour les voix noires qu’il n’égalera jamais. La musique, elle aussi, rapproche comme elle peut Dublin de Memphis, la verte Irlande d’Al Green, mêlant cuivres et mandoline, violons et orgue pour une étreinte dont le panache forcé indique à chaque mesure qu’elle sera la dernière. Avec les douze minutes flamboyantes de This is what she’s like, le dernier sursaut de fierté qu’est I love you (listen to this), les longues minutes tendues de My national pride et The Waltz, Don’t stand me down s’avère un disque en désespoir de cause, voué quoi qu’il arrive à l’échec, mais ce désespoir-là lui va bien. On se souvient avoir entendu Rowland parler à sa sortie d’une soul adulte, dégagée de ses obligations rentières, vouée avant tout à soulever l’âme plutôt que les fesses de l’auditeur. Et sans doute aussi à lui soulever le coeur, comme ces moments indicibles qui séparent l’ivresse de la nausée. Douze ans plus tard, à la lumière de cette tardive réédition, c’est finalement l’ivresse qui l’emporte.
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