1. Depuis une trentaine d’années, les politiques, d’abord ceux d’extrême droite et de droite, puis ceux de gauche, hélas, n’aiment rien tant qu’agiter le spectre de l’insécurité. Qui serait en constante augmentation, les violences aux personnes et les atteintes aux biens atteignant des sommets inégalés. L’insécurité progresse, c’est une affaire entendue, une antienne obligée de […]
1. Depuis une trentaine d’années, les politiques, d’abord ceux d’extrême droite et de droite, puis ceux de gauche, hélas, n’aiment rien tant qu’agiter le spectre de l’insécurité. Qui serait en constante augmentation, les violences aux personnes et les atteintes aux biens atteignant des sommets inégalés. L’insécurité progresse, c’est une affaire entendue, une antienne obligée de la vie politique française, un délectable prétexte à empoignades télévisuelles et à sujets de JT, et un “marronnier” de choix pour les hebdomadaires. Seulement muni de ses chiffres et de ses courbes, qui démontrent à peu près exactement le contraire, avec ses précautions d’usage et ses nuances de rigueur, le malheureux chercheur n’aura aucune chance d’être entendu. Le discours d’autorité face à la prétendue “montée de l’insécurité” est devenu la règle, et gare à ceux qui se refusent aux rodomontades sécuritaires : l’étiquette infamante “vieille gauche angélique” sera impossible à décoller. Ségolène et son fameux “ordre juste” ont laissé des traces. Exemple récent : quand un dingue en bout de course ouvre le feu dans le hall de Libération, Manuel Valls parle de “scène de guerre” et de “menaces sur la liberté de la presse”, alors qu’il ne s’agit ni de l’une ni de l’autre, de toute évidence, mais qu’importe le sens des mots quand seules comptent l’enflure du discours martial et la solennité de la posture. L’essentiel, c’est le coup de menton ministériel et sécuritaire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
2. Pendant ce temps, l’insécurité sociale, elle, devient la règle, l’épée de Damoclès qui pèse sur une part toujours plus grande de la population. Dans son numéro de novembre, Alternatives économiques analyse l’étude de l’Insee sur les revenus des Français en 2011, et constate que “la crise s’est traduite par une forte hausse de la pauvreté et des inégalités”, plus importante que la moyenne de la zone euro, et bien plus forte qu’au Royaume-Uni. Contrairement aux idées les mieux reçues, le fameux modèle social français n’a pas amorti le choc de la crise pour les plus pauvres, et le détricotage fiscal des années Sarkozy – peu redistributif et conçu pour les contribuables les plus aisés –, et sa chasse à “l’assistanat” perçu comme “un cancer” sont passés par là. Résultat : + 900 000 pauvres entre 2008 et 2011, et une envolée des inégalités que seule l’Espagne nous envie. En France, les très pauvres sont de plus en plus nombreux (2,23 millions de foyers sont bénéficiaires du RSA, fin juin 2013) et les précaires de plus en plus précaires. L’insécurité, la vraie.
3. Le Monde nous apprend que selon une étude de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), “12,2 % des adultes appartiendraient à un foyer en ‘situation d’insécurité alimentaire pour raisons financières’, soit plus de 6 millions de personnes”. Les Restos du coeur, qui ont démarré leur campagne lundi, s’attendent à recevoir 1 million de personnes, chiffre record. “Situation d’insécurité alimentaire pour raisons financières”, six mots pour dire la dèche, quand il s’agit de “tuer la faim” comme on peut. Des mots étrangement absents du débat public, des questions quasiment jamais abordées par les politiques. C’est sans doute que cette insécurité-là ne risque pas de faire recette électoralement… Rien de plus ennuyeux et de moins spectaculaire.
Frédéric Bonnaud
Au sommaire des Inrocks cette semaine : Agnes Obel, lady glagla ; James Gray réinvente le mélo ; Philip Roth, made in USA ; reportage : Kaboul skate-park ! Le magazine est disponible en kiosque et dans notre boutique en ligne.
{"type":"Banniere-Basse"}