En France, Marine Le Pen refuse l’étiquette d’extrême droite. Mais sur le terrain européen, elle tend la main aux leaders du FPÖ autrichien et du parti pour la liberté hollandais. Qui la lui serrent du bout des doigts, jugeant le Front national trop sulfureux.
Aujourd’hui marque le début de la libération de ce monstre nommé Bruxelles. » Geert Wilders et Marine Le Pen raffolent des bonnes formules. A tel point qu’on se demande si les deux ne s’adonnent pas à un concours d’éloquence, ce mercredi 13 novembre, dans la salle de presse du Parlement de La Haye. A l’élégant leader du Parti pour la liberté (PVV) qui qualifie l’Union européenne « d’Etat nazi », Marine Le Pen donne le change. « Nous, vieilles nations européennes, obligées de demander la permission à Bruxelles pour toute chose. Il faut retrouver la souveraineté territoriale, la souveraineté monétaire, la souveraineté budgétaire », martèle-t-elle. Sourires carnassiers, poignée de main : l’alliance Wilders-Le Pen est scellée.
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Objectif : 25 députés de sept nationalités différentes
Ce n’est pas la première fois que Marine Le Pen rend visite au dirigeant de l’extrême droite néerlandaise. Un premier déjeuner avait été organisé entre les deux leaders en mai dernier, pour « jeter les bases d’une collaboration à venir ». Leur objectif ? « Rabattre le caquet des élites europhiles lors des élections européennes », selon la formule de Wilders. Le FN et le PVV espèrent créer un groupe parlementaire rassemblant les partis nationalistes afin de peser dans les débats à Strasbourg et à Bruxelles. Pour ce faire, ils doivent réunir vingt-cinq députés de sept nationalités différentes.
Alors, en bons VRP, le FN et le PVV sillonnent l’Europe depuis des mois. En octobre, Marine Le Pen a rendu visite à Jimmie Aakesson, leader populiste des Démocrates de Suède ; fin septembre, Marion Maréchal-Le Pen s’adressait au Vlaams Belang, la formation xénophobe flamande. L’eurotour extrémiste de Geert Wilders l’a conduit, lui, en Italie et en Scandinavie. A l’heure actuelle, le FN compte sur les extrêmes droites néerlandaise, suédoise, autrichienne et belge. Il espère rallier l’Italie (sinon la Ligue du Nord, au moins la Destra ou Fratelli d’Italia), Malte ou le Danemark.
Problèmes de compatibilité
« Les partis eurosceptiques ont compris qu’il fallait s’allier avec des mouvements politiques compatibles et aller au-delà de l’interdiabolisation », estime Ludovic de Danne, le conseiller Europe de Marine Le Pen. Le FN est déjà allié au sein de l’Alliance européenne pour la liberté (EAF) à d’autres souverainistes « compatibles » (Vlaams Belang, FPÖ autrichien et Démocrates suédois). Mais hors de question de s’associer aux radicaux ultranationalistes comme le Jobbik hongrois, « un mouvement outrancier et folklorique », selon de Danne. Paradoxalement, la fille Le Pen préfère poser avec le sulfureux Geert Wilders, jugé puis relaxé pour incitation à la haine raciale en 2011 après avoir comparé le Coran à Mein Kampf.
Malgré cette lune de miel affichée, le PVV a refusé de rejoindre l’EAF aux côtés de Le Pen. Va pour un accord électoral et la création d’un groupe parlementaire après les élections, mais pas question de s’unir contractuellement.
« Le FN a encore une image antisémite qui ne passe pas aux Pays-Bas, deuxième pays où il y a eu le plus de déportés juifs après la Pologne, analyse Laurent Chambon, sociologue français basé à Amsterdam. Les déclarations de Jean-Marie Le Pen posent un énorme problème de conscience, d’autant que les finances du PVV dépendent de donateurs américains pro-Israéliens. Même malaise sur la question homo : d’un côté, le FN homophobe, de l’autre Wilders qui justifie son rejet de l’islam parce que c’est une religion anti-homo. »
« Ces alliances au coup par coup volent toujours en éclats »
Les prises de position sociales, les contentieux historiques sur les minorités religieuses ou le tracé des frontières sont autant de barrières à la création d’un groupe extrémiste. Ainsi, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) a exclu de s’associer à un parti avec « un passé antisémite comme le Front national français ». « Ces alliances au coup par coup volent toujours en éclats : c’est trop compliqué de rassembler les Autrichiens et les Slovènes, ou les Allemands avec les Polonais. Sans parler du Royaume-Uni qui s’imagine seul contre le reste du monde », analyse le politologue Jean-Yves Camus.
« Sur le plan intérieur, ce rapprochement ne va pas rapporter de voix à Geert Wilders », remarque encore Laurent Chambon. « Wilders radicalise son image en s’associant à Marine Le Pen, commente Jean-Yves Camus. C’est une stratégie qui résulte de son relatif échec aux dernières législatives. En tout cas, c’est très hasardeux pour lui d’un point de vue national, il a tout à y perdre. » Alors s’il n’y a aucun gain électoral, à quoi bon promettre une union ? « Le but du jeu, ce sont les ressources financières, raisonne Jean-Yves Camus. En étant un groupe parlementaire, on gagne en temps de parole, en budget, en locaux et en personnel politique. » Autant de bonnes raisons de sourire sur la photo.
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