Il est âgé de 23 ans, il se décrit comme un « charbonneur ». Jusqu’à présent il vendait du cannabis à Marseille, mais il envisage aujourd’hui de « tirer un trait sur cette activité ». Rencontre.
Une doudoune sans manches, des lunettes de soleil blanches et un pantalon noir soigneusement repassé. Lorsque Hakim* se rend dans le centre-ville de Marseille, il soigne son style mais reste toujours aussi « discret ». Pas de voiture, ni de scooter, le jeune homme préfère se déplacer en métro. « Il ne faut pas montrer ton argent, c’est comme ça que tu attires la convoitise et la jalousie », lâche-t-il, en s’enfonçant dans une rame.
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A 23 ans, Hakim est « charbonneur ». Son boulot, vendre du cannabis de 11h à 23h dans un bloc d’une des cités des quartiers nord de Marseille. Une activité qui lui rapportait, jusqu’à présent, 6000 euros par mois. Mais voilà, le jeune homme a décidé de se retirer du business pour débuter une « nouvelle vie », « tirer un trait » et « essayer d’avancer« . Aujourd’hui, il estime que « c’est trop dur de vivre en dehors du système ».
« Tu n’as pas de couverture sociale, tu ne cotises pas pour la retraite. Comment je vais faire quand je vais être vieux, je vais crever comme un chien? »
Arrêter aussi parce que la vente devient trop dangereuse. Il y a quelques semaines, Hakim s’est fait arrêter par la police. « Ils sont entrés dans mon appartement, ils ont tout saccagé. Ils ont trouvé de la marchandise coupée, prête à être vendue. Je me suis fait passer pour un gros consommateur, pour un miskin [NDLR: malheureux en arabe], un mec paumé, pas un voyou. » Comme Hakim n’a pas de casier, la police l’a cru et l’a relâché.
« Juste un moyen de remplir le frigo »
Après de longues négociations avec sa hiérarchie, le vendeur parvient à abandonner la vente. Il quitte alors le « quartier » pour débuter une formation d’agent-magasinier – le personnel qui gère les stocks dans les magasins. « Ça fait une semaine que je suis là et j’en ai déjà trop marre« , lâche-t-il, dans un rade de campagne presque vide. Mais difficile de trouver mieux lorsque l’on a quitté l’école à 17 ans, sans aucun diplôme. « S’il existait une formation pour apprendre à dealer, on aurait tous le bac », dit-il, tout sourire.
Financièrement, Hakim l’admet sans mal, « difficile de passer de 6000 euros par mois à 400 euros ».
« L’année dernière, je devais déjà intégrer cette formation mais j’ai refusé. Pas envie de me casser le cul à gagner en un mois ce que je pouvais me faire en une journée. »
Mais aujourd’hui, sa décision est prise. Adieu les soirées en boite de nuit et les magnums de champagne. Désormais, seules quelques barrettes de shit lui permettront d’arrondir ses fins de mois.
« Dealer est un vice, on arrête jamais vraiment. » Une réflexion qui sonne comme une évidence pour ce jeune homme, né dans l’univers du cannabis. A 8 ans, il ne s’étonne pas de voir ses parents jouer la « nourrice ». A n’importe quelle heure, un vendeur peut débarquer dans le foyer familial pour y déposer de la marchandise. Une cachette parfaite lorsque la police lance une opération dans la cité et une activité lucrative pour les parents de Hakim. Aujourd’hui, une nourrice gagne environ 600 euros par semaine. « Je ne suis pas bête, je savais très bien ce que faisaient mes parents. Mais quand tu le vis, c’est pas choquant. C’est juste un moyen de remplir le frigo. »
50 000 euros par jour
Les années passent, le père entre dans le business, le fils aussi. Hakim a 15 ans. C’est un adolescent malin. Il choisit de « faire des petites frappes« , autrement dit, il vole la sacoche des dealers du quartier. Une manière de se servir à la source et d’empocher tous les bénéfices jusqu’au jour où il se fait prendre. Une arme entre les deux yeux et il retient la leçon. Il décide alors de s’engager dans l’armée. Du sport, des armes, c’est tout ce qu’il aime. Mais à l’été 2010, la police marseillaise lance une grosse opération dans la cité de Hakim. Tous le réseau est arrêté, son père avec. Il prend cinq ans de prison ferme pour trafic de cocaïne. La mère quitte le navire et Hakim se retrouve seul.
Le minot n’a plus le choix, il doit reprendre le business. « Personne ne m’a aidé. J’ai dû trouver l’argent là où il est. Il fallait que je paye le loyer, que j’envoie des mandats à mon père pour qu’il puisse fumer son shit et de l’argent à ma mère. » Comme le réseau est à reconstituer, l’un des chefs qui a réussi à rejoindre le « pays » demande à Hakim de diriger l’un des trois points de vente du quartier. Le vendeur s’organise. Il trouve des « choufs » – ces jeunes adolescents payés entre 50 et 100 euros la journée pour guetter la police, ravitaille les sacoches et s’occupe des comptes. Une véritable entreprise. Mais peu florissante, selon Hakim.
« Le point de vente rapporte 1000 euros par jour, c’est rien comparé à certains quartiers. A la Castellane, c’est 50 000 euros par jour et par point de vente qu’ils se font. »
« C’est la faim qui tue un homme, pas la prison »
Aujourd’hui, Hakim connaît toutes les ficelles du métier. Il sait comment agir pour limiter les risques. Se méfier des clients: « Je sers rapidement la personne pour qu’elle n’ait pas le temps de voir ce qu’il se passe. » Se masquer le visage lorsque ceux-ci paraissent « louches » : « Tu peux te faire attraper bêtement par un flic qui se fait passer pour un consommateur ou par un flic qui chope le client à la sortie de la cité. » Lorsque Hakim traine dans le quartier, il porte toujours un jogging et un sweat à capuche. Un style « à l’arrache » pour montrer à la police que son business ne rapporte pas grand chose et qu’ils doivent aller pêcher ailleurs s’ils veulent des résultats.
Une technique pour aussi éviter de se faire dénoncer par les habitants du quartier qui jouent les indics. Pourtant, Hakim l’assure, il n’a pas peur de la police. « J’ai grandit dedans. C’est la faim qui tue un homme, pas la prison. Mais j’ai jamais voulu être un gros trafiquant. Je ne veux pas finir comme mon père », insiste-t-il, paradoxalement.
La sécurité de l’emploi
Hakim se retire et sait bien que le business ne va pas en pâtir. La relève est déjà là. Des adolescents pré-pubères avec qui il a passé des heures au pied des immeubles, un pétard à la bouche. Ces jeunes, pour qui l’école n’est déjà plus qu’un souvenir, veulent faire comme les grands et gagner vite de l’argent. L’ancien vendeur sait qu’il n’y peut rien. « Je préfère qu’ils fassent le chouf plutôt qu’ils aillent dans le centre-ville arracher les colliers en or. »
Pourtant, Hakim aurait bien aimé défendre la cause des jeunes des quartiers nord et pourquoi pas créer un parti politique. Mais désormais, Hakim n’a qu’une seule priorité, gérer sa vie. Cette formation « pourra [lui] assurer la sécurité de l’emploi« , dit-il. Pour le reste, quelle ambition ? Quel rêve ? Il est encore trop tôt pour le dire. « Si la vie m’a bien appris quelque chose, c’est que l’on ne peut jamais savoir ce qu’elle nous réserve. »
Fériel Alouti
*Le prénom a été modifié
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