Expos, débats, concerts, théâtre…Transversal et pluriel, le festival normand Les Boréales célèbre pour sa 22ème édition à travers plus de 200 évènements les cultures nordiques, en zoomant sur l’Islande et la Lituanie. Morceaux choisis d’un weekend : on y était, on raconte.
Le voyage : Sartre et Beauvoir – un voyage en Lituanie par Antanas Sutkus / Ciné-concert Les Vikings
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Pluie traversière, boue aux semelles…les terres normandes semblent hostiles, comme désireuses de renvoyer hors de ses frontières le visiteur. Pourtant, là, près de Caen, un lieu hospitalier, une abbaye médiévale somptueuse, refuge bienvenu pour cette première soirée. En ses murs, une exposition photographique, un reportage daté de 1965 de l’immense et trop méconnu lituanien Antanas Sutkus. Une poignée de clichés, un regard sur le couple Sartre/Beauvoir, alors en déplacement en Lituanie. Souriants, parfois solennels, quasi prophétiques (la célèbre image de Sartre sur une dune contre le vent), ils offrent un visage rare (seul Cartier Bresson était autorisé à shooter Sartre), une part d’intime (présence de Zonina, traductrice et amante de Sartre) et un moment d’Histoire (déstalinisation, Guerre Froide), saisis par un œil ni juge, ni complice.
Deux jours après, fin de festival, un autre abri et une autre évasion. Cette fois, l’amphi de la fac de Caen, modernité de la salle, un écran, une dizaine de musiciens et la (re)découverte de ce classique, Les Vikings, création de Richard Fleischer, portée par un Kirk Douglas peroxydé, un Tony Curtis cabot et une Janet Leigh pré-hitchcockienne. Outre son kitsch, une épopée, un témoignage (élu « meilleur film sur les vikings au monde ») réactualisé, par la bande son du norvégien Martin Romberg et l’interprétation de l’Orchestre Régional de Basse-Normandie, 55 ans après sa sortie.
La classe / le coup de cœur : Ólafur Arnalds
Au BBC (Big Band Café), salle caennaise un peu ouatée et un peu moite, une silhouette fragile, tête blonde, costume sombre, grimpe délicatement, presque sans bruit, sur la scène. Accent lointain (l’anglais par un Islandais !), mots timides, il demande au public de chanter, l’enregistre, le sample, et parcourt son piano. S’installe alors, au creux de ce lieu profane, un silence ecclésial, l’assistance devenue mutique, bée d’admiration devant ce jeune homme, artiste hybride seulement accompagné d’une violoniste, d’un violoncelliste, et d’un chanteur (sur deux titres). Entre romantisme dix-neuvième et saillies contemporaines, douceur acoustique et brutalité électronique, un univers filmique, près de Chopin et Craig Armstrong, ambitieux, soufflé d’un bout à l’autre, avec élégance. Björk et Sigur Ros, compatriotes rayonnants, déjà, l’avaient souligné.
La déception : Budam
Après un débat poético-économico-littéraire sur l’Islande, la crise, l’attachement profond de cette île à la création culturelle, un autre lieu, La Fermeture Eclair, salle éphémère, toit en tôle, galerie artistique attenante, froideur des murs, chaleur des bières. Attendu, apprécié, Budam s’avance, encapuchonné, violemment amaigri, un batteur – Mister J – à sa droite, et une guitare – Mister K – en main. Lui d’ordinaire, le conteur fêlé, voix rauque d’entrailles et de gouffres, habile pianiste, semble là, en peine, empêché, le corps cogné contre la Gibson, barrage à sa gestuelle, à sa pleine expression. Comme un palliatif, il déborde de mots, multiplie les apartés, hurle, harangue, sorte de prêcheur païen (il est fils de pasteur), face à des ouailles malheureusement, ce soir-là, détournées de sa paroisse.
La claque : Bjorn Berge
Suite à l’absurdité fertile du clown Jonas Södergren et la projection orchestrale du film de Richard Fleischer, Le Cargö, complexe caennais d’importance, ultime étape de l’immersion. Ici, plusieurs dizaines de spectateurs – du chevelu métalleux à la retraitée guillerette – pour un norvégien virtuose, stature de colosse et voix animale, guitare véloce à douze cordes, deux mains pareilles à quatre, stomp hypnotique, complexe et abrupt mélange de blues classique (reprise de I can’t quit you baby de Willie Dixon) et de hard rock (Ace Of Spades de Motörhead, Hush de Deep Purple).Toute une tradition liftée, speedée, lourdement bombardée mais jamais, à aucun moment, profanée. A la sortie, les oreilles réapprennent le monde, finalement heureuses d’avoir été, durant une paire d’heures, aussi secouées.
La phrase
Une spectatrice à propos de Budam: « Il ressemble un peu à Denis Lavant, mais en moins buriné, période Les Amants du Pont Neuf ». Pas faux…du fond de la salle.
« It’s only me, the motherfucker from Norway ». Bjorn Berge sur scène au moment du rappel.
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