La nouvelle série de la chaîne américaine Lifetime dévoile les coulisses d’une émission de télé-réalité type « Bachelor » dans laquelle s’affrontent producteurs sans états d’âme et candidats rebelles convaincus qu’ils peuvent retourner le système à leur avantage.
On connaissait Studio 60 on the sunset strip et 30 Rock qui dévoilaient, chacune à leur manière, les coulisses d’une émission comique type Saturday Night Live. Avec sarcasme et dérision, ces programmes insistaient sur les soucis techniques et sur les tourments moraux de ceux qui créent ces émissions de divertissement.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
UnREAL s’attaque à plus gros encore. La nouvelle série de la chaîne américaine Lifetime prend place deans les coulisses d’Everlasting, émission de téléréalité inspirée du Bachelor, dans laquelle un riche héritier anglais passe plusieurs mois dans un manoir avec une douzaine de prétendantes qui cherchent à le séduire.
La télé-réalité n’est pas seulement un prétexte
La télé-réalité comme toile de fond d’une série n’est pas novateur. Siberia, sur NBC en 2013, avait tenté d’utiliser pour cadre une émission de type « Koh Lanta » pour instaurer un climat pesant, avant de prendre un tournant fantastique pas très abouti. Résultat: elle n’avait duré qu’une saison.
Mais UnREAL n’utilise pas simplement la télé-réalité comme un prétexte. Elle la scrute, la démonte, la déconstruit à travers l’expérience de Rachel (Shiri Appleby), une « productrice » dont le métier est de manipuler les candidats pour obtenir ce que sa chef considère être de la « bonne télévision ». C’est à dire de la télévision bien trash: une jeune femme qui perd sa virginité à l’écran, une confrontation entre deux prétendantes qui finit en baston, etc… Mais évidemment personne n’est dupe. Ni ceux qui portent les caméras, ni ceux qui doivent faire le show.
À celui qui maitrisera le mieux son image
Adam Cromwell, le « Bachelor », est sous ses airs de gendre idéal un excellent manipulateur qui souhaite profiter de l’émission pour faire parler de son hôtel et obtenir des faveurs sexuelles d’un maximum de prétendantes. S’il est la tête d’affiche du programme fictif Everlasting, les stars d’UnREAL sont au contraire les prétendantes qui gravitent autour de lui. Quinze ans après les débuts de la télé-réalité, plus aucun candidat n’est dupe du système mis en place pour maximiser l’audience et vendre du faux à des téléspectateurs passifs.
Les femmes, qui pourraient être dépeintes comme des potiches victimes du système, se révèlent être les plus fines calculatrices. Ainsi, lorsqu’un producteur du programme vient aborder les deux candidates noires en leur expliquant qu’elles ne gagneront jamais, et que si elles souhaitent aller le plus loin possible « dans l’aventure » elles devront se conformer aux stéréotypes des femmes noires volubiles et extravagantes, l’une d’entre elles accepte sans hésiter. L’autre sera éliminée dans la foulée.
Comme on l’observe aujourd’hui dans les Secret Story et autres Pékin Express, les joueurs savent donner aux caméras ce que l’on attend d’eux, et non ce qu’ils sont vraiment. L’époque où un Jean-Edouard et une Loana s’adonnaient ingénument aux plaisirs de la chair dans une piscine sous le regard émoustillé de millions de téléspectateurs est bien révolue. À présent c’est à celui qui maitrisera le mieux son image, parviendra à comprendre le besoin pour proposer l’offre la plus adaptée. De quoi rendre le travail de ceux qui créent ces programmes beaucoup plus compliqué.
Une représentation subtile des rapports de force
Aussi, quand une candidate est éliminée après quelques épisodes de Everlasting, et que les producteurs essaient de la forcer à s’énerver devant la caméra, elle parvient à rester calme, arbore son plus beau sourire et annonce qu’Adam est un « garçon génial » et qu’elle a passé « des moments charmants dans l’émission« . « Je répéterai ça en boucle jusqu’à ce que vous me laissiez rentrer chez moi« , assène-t-elle à Rachel, dont le travail consistera ensuite à la pousser à bout jusqu’à ce qu’elle hurle et fonde en larmes.
Au lieu de se contenter d’une critique facile et moralisatrice de la télé-réalité, UnREAL livre une représentation subtile des rapports de force qui régissent cette industrie. Qui est le plus à plaindre ? Celles qui s’adaptent au système en essayant d’imposer leur propre contenu ou ceux qui le consommeront derrière leurs écrans ? La patronne de l’émission qui fait venir l’ex-mari violent d’une des candidates, à son insu, afin qu’ils « s’expliquent » devant les caméras, ou la productrice hypocrite qui oscille entre coups bas et états d’âme ?
Au fil des épisodes il devient évident qu’aucun de ces acteurs n’a les moyens de lutter contre la Bête de la télé-réalité, devenue parfaitement autonome, sorte de monstre de Frankenstein sur lequel même son créateur n’a plus d’emprise.
« La télé-réalité est un jeu d’échec auquel vous ne pouvez pas gagner. »
Sarah Gertrude Shapiro, la créatrice de la série, sait de quoi elle parle. Elle a été productrice sur la vraie émission The Bachelor pendant neuf ans, comme le souligne The New Yorker. Obligée contractuellement de continuer à travailler pour le programme alors qu’elle souhaitait démissionner, elle raconte avoir menacé de se tuer dans l’espoir de pouvoir briser son contrat, mais que son patron n’a accepté de l’en libérer que lorsqu’elle a a proposé de déménager dans un autre Etat, où le contrat ne s’appliquait plus. Elle a ensuite tiré un court-métrage de son expérience, avant de l’adapter en série deux ans plus tard.
Malgré son animosité envers cette industrie qu’elle abhorre, Shapiro est parvenue a injecter une dose d’espoir et de sensibilité dans sa série, notamment à cause de sa tendresse évidente envers les candidats, qu’elle considère malgré tout comme des victimes, persuadées de maitriser leur destin alors qu’elles n’en ont aucun contrôle. « Les gens qui font ces émissions de télé-réalité sont très intelligents« , racontait-elle en juillet 2015 au Los Angeles Times. « La télé-réalité est un jeu d’échec auquel vous ne pouvez pas gagner. »
(Bande-annonce du court métrage de Sarah Gertrude Shapiro)
Marie Turcan
Unreal, sur Lifetime depuis le 1er juin
{"type":"Banniere-Basse"}