Délicieusement construit à la charnière entre les genres, “Adieu et merci” de Latifa Laâbissi s’avère un conte aussi sensuel que cruel, via le duo qui s’improvise entre la danseuse et son rideau de scène.
Avec pour seul partenaire un rideau de scène violet qui n’en fait qu’à sa tête, voici donc Latifa Laâbissi qui se livre à la cérémonie des adieux et des mercis. Hiératique dans sa longue robe qui se joue du ton sur ton avec l’immense plissé du tissu suspendu, la danseuse et performeuse se fait d’abord caméléon, prend des poses de statue.
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Avec des allures dignes d’un Belphégor réactivé, elle semble attendre la venue de l’enfant, seul capable de la guider dans le labyrinthe de sa création. Portant la barbe taillée en pointe et les cheveux remontés en chignon, elle s’amuse de cette ambiguïté des genres en se composant une image troublante, entre le dieu ancestral, le héros guerrier et la femme à barde, pour flirter avec l’immense draperie qui bientôt va prendre vie.
D’abord et presque imperceptiblement puis avec une étonnante furie, le rideau suit les méandres d’un rail qui très haut dans les cintres lui permet tel un serpent qui rampe de progresser vers nous pour occulter l’espace jusqu’à venir le fermer à l’avant-scène. Quel est l’enjeu de ce duel entre le serpent d’étoffe et la belle ambiguë ? Qui sortira vainqueur de ce bras de fer opposant un ange exterminateur à son démon tentateur ?
Serpent d’étoffe
Au final, l’artiste réussit le tour de force de charmer l’animal. Mais au fil de cette danse des sept voiles qui s’avère toujours plus érotique à chaque nouveau passage qu’elle ouvre dans le rideau, c’est elle qui perd bientôt pied dans l’enivrant manège. La voici nue, se déhanchant en bacchanale obscène agitant ses seins et courant en tous sens tandis que nous ne savons plus, dans un étonnant renversement de la perspective, si cette cérémonie des adieux s’adresse à nous ou à cette autre audience qui demeure invisible en permanence occultée derrière le fameux rideau qui bouge.
Jeu de miroir et de transparence, critique cruelle s’amusant jusqu’au grotesque des rapports entre l’artiste et son public, Adieu et merci de Latifa Laâbissi est un petit bijou chorégraphique qui déploie ses charmes en distillant le plus doux des poisons via les mille et une piqûres de ses tentacules métaphoriques. Un régal aussi jubilatoire que toxique.
Adieu et merci, conception et interprétation Latifa Laâbissi, festival Mettre en Scène à Rennes, compte rendu. En tournée : du 20 au 22 novembre – Festival d’Automne à Paris – Centre Pompidou (Paris), le 28 novembre – Tanzquartier (Vienne), le 28 janvier – Le Vivat, scène conventionnée d’Armentières.
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