Deux ans après « Le chant des sirènes », Orelsan revient en duo et en force avec un concept-album, hommage ludique et nostalgique aux années de glande post-adolescentes, annoncé par deux singles farceurs (« Bloqué » et « La Mort du disque »). « Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters » raconte la folle journée aux allures d’histoire sans fin de deux compères queutards et alcoolos. Entretien avec leurs créateurs, anciens colocs et toujours meilleurs potes, qui leurs ressemblent – au moins un peu.
Gringe, on te connaît moins qu’Orelsan, tu peux nous présenter les « Casseurs Flowters » ?
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Gringe : On a formé les Casseurs Flowters au début des années 2000. A la base c’était un délire, c’était pas sérieux. Le disque qui sort aujourd’hui, le premier après une mixtape en 2004, c’est l’aboutissement de dix ans d’amitié. Entre temps, Orel a sorti ses deux albums, il s’est investi à fond dans son truc et ça a marché. J’ai participé à un morceau sur chacun de ses albums, dont Ils sont cools qui a bien fonctionné, et je l’ai suivi en tournée en faisant les backs. J’ai fait des petits boulots à côté… Mais j’ai surtout vécu à ses crochets en fait !
L’album raconte la journée de deux potes, de quinze heures à six heures du mat’, entre gueule de bois et nouvelle cuite. Ces deux amis, c’est vous ?
Orelsan : C’était un peu notre vie jusqu’à il y a deux-trois ans, on s’en est inspiré. Gringe et moi on a été colocataires de 2004 à 2011. On a voulu faire un album-concept autour de ça, avec beaucoup de paroles, des dialogues, des interludes. C’est vraiment un disque de potes, on l’a écrit comme un scénario de film, comme un buddy movie.
Gringe : C’est pas une autobiographie mais y a du vécu, bien sûr. On raconte la grande époque, celle des 400 coups avec la bande de potes, les filles, les cuites, la lose… Aujourd’hui on est trentenaires, on a encore un orteil dans ce mode de vie là, mais on tend à tourner une nouvelle page.
Orelsan : Haha, à chaque fois on dit ça ! Je disais déjà ça après mon premier album mais en fait la page on la tournera jamais. On pourrait faire le même album à soixante piges : on parlera toujours de meufs, et on boira sûrement beaucoup plus d’alcool que maintenant !
Dans vos textes il y a beaucoup de références aux années 90 : Nirvana, les bombers à scratch, les mangas… Le nom de votre groupe est un hommage aux méchants de « Maman, j’ai raté l’avion », les casseurs flotteurs. Vous êtes nostalgiques de cette époque ?
Gringe : Moi oui, à fond. Contrairement à Orel, je suis un peu dépassé par l’ère numérique, je suis resté analogique. Je ne télécharge pas parce que je ne sais pas le faire. J’ai même pas Internet…
Orelsan : Moi, au contraire, je suis beaucoup plus heureux maintenant qu’à l’époque. J’aime trop la technologie… J’ai encore l’espoir de pas mourir tu vois, qu’ils me greffent un cœur de souris ou un iPhone à la place du cœur.
Orelsan, tu considères cet album comme une parenthèse ludique avant un nouvel album solo ou bien comme ton véritable troisième album ?
Orelsan : Euh…
Gringe : Bah t’assumes ou pas ?
Orelsan : Héhé ! Pour moi c’est pas mon troisième album parce que je suis pas tout seul. Mais si un jour des gens ont envie de se repencher sur ma discographie, j’aimerais bien qu’ils ne voient pas ça comme un side-project obscur. C’est pas une grosse machine, pas un album qu’on a fait pour vendre – si jamais on arrive à en vendre assez pour ne pas être endettés et en refaire un derrière ça nous suffit. Mais j’y ai mis autant d’effort que pour un troisième album.
Gringe : On a écrit tous les jours, pendant un an. Il n’y pas que des textes légers. Le morceau sur les putes, Les putes et moi, par exemple…
Un morceau qui tombe pile au moment où le gouvernement envisage de pénaliser les clients des prostitués…
Orelsan : Ouais ! C’est une drôle de coïncidence, ça tombe en plein débat. L’histoire du morceau c’est deux keums qui arrivent en marchant devant des putes, l’un des deux dit qu’il a envie d’y aller, l’autre que c’est pas son délire, et leur discussion est basée sur des arguments pas défendables.
Gringe : Ce n’est pas un texte à dimension politique, juste une discussion potache, bas du front, entre deux mecs qui sont bourrés.
Orelsan : De toute façon, selon moi une chanson ne devrait jamais faire polémique. Souvent on me demande de prendre parti sur des sujets d’actualité mais je refuse. Je pense que la meilleure position pour un artiste c’est de ne pas donner son avis, de laisser juste le texte, parce qu’après ça nique toute la magie. C’est bien que les gens se demandent si t’es sérieux ou pas dans tes paroles. La seule chose que je veux bien défendre sérieusement en interview, c’est le droit des artistes.
Gringe : Et des animaux ?
Orelsan : Et des bébés ienchs ouais.
Tu n’as pas peur que ceux qui s’étaient offusqués des paroles de ta chanson « Sale pute » en 2009 te tombent à nouveau dessus ?
Gringe : On en a parlé, t’étais conscient de ça Orel, non ?
Orelsan : Ouais mais je m’en fous, pour moi ces gens sont à côté de la plaque et une fois de plus ils seront à côté. J’ai pas peur, ça m’a soulé pendant quatre ans mais ça y est, je suis vacciné. Je ne veux pas faire de provoc – enfin pas trop de provoc dégueulasse – mais surtout je ne veux pas me censurer. Les gens qui m’attaquent, ça ne représente vraiment pas beaucoup de personnes. Je pense qu’ils ne lisent pas beaucoup et n’écoutent pas beaucoup de musique. Ils ne savent pas démêler fiction et réalité.
En mai dernier tu as été condamné à une amende de 1000 euros avec sursis pour « injure et provocation à la violence à l’égard des femmes ». Tu as fait appel ?
Orelsan : Oui. J’ai gagné le procès intenté pour Sale pute mais des associations féministes ont porté une nouvelle plainte en se basant sur un concert que j’ai fait au Bataclan en 2009. Ils ont isolé des paroles et les ont mis bout à bout, hors-contexte, comme si mon concert n’était qu’une longue insulte. Au tribunal ils n’ont même pas écouté les morceaux. J’ai fait appel plus pour le principe que par envie. Il y a genre quinze phrases que je n’ai plus le droit de sortir, sinon à chaque fois je prends mille euros d’amende. Heureusement qu’il n’y a pas quelqu’un derrière moi parce que je ne vais pas arrêter de chanter mes chansons sur scène. C’est complètement ridicule. C’est la liberté de création qu’on attaque.
Votre album sort le même jour que celui de Détroit, la nouvelle formation de Bertrand Cantat. Vous pensez quoi de ce retour ?
Gringe : Il faut bien dépareiller l’artiste de l’humain. Il y a des mecs pour qui je ne vais pas avoir d’empathie, ça ne m’empêche pas d’être curieux et d’écouter l’artiste.
Orelsan : Chacun a le droit de se faire une opinion librement. Il a purgé sa peine donc logiquement il a le droit de faire des interviews, de dire ce qu’il pense, de faire de la musique, de vivre. De la même manière, chacun a le droit de dire « jamais de la vie j’achèterai le disque de Bertrand Cantat ».
Cet été, vous avez donné un concert en prison, avec l’association FU-JO. C’était comment ?
Orelsan : C’était super cool. Ce qui était golri, c’est que la veille avec Gringe on se disait « ouais tu crois pas qu’avec les taulards ça va être chaud… ».
Gringe : Moi je voulais pas qu’on y aille ! Je lui disais, tu veux vraiment qu’on se fasse lyncher en direct live ? Genre ils vont écouter La Terre est ronde en taule.
Orelsan : T’arrives, t’es un peu impressionné. Là un keum vient me voir et me dit « ah merci d’être venu, j’espère que tu vas chanter La Terre est ronde« . Comme ça parle de rentrer à la maison…
Gringe : Tu les sentais touchés. Au final Orel a chanté trois fois le morceau ! C’était complètement improbable.
Vous avez les mêmes goûts en musique ?
Gringe : Pas du tout, même s’il y a des ponts. Orel a une culture musicale vachement plus large que la mienne. Il écoute du rock, du garage, il me sensibilise à plein de trucs. Là, il m’a fait découvrir les Arctic Monkeys, j’ai adoré l’album. Après on se rejoint sur des classiques.
Orelsan : A la base, Gringe était beaucoup plus rap français, c’est lui qui me l’a fait vraiment découvrir, notamment l’école parisienne de la fin des années 90. Après, sur tous les trucs expérimentaux, un peu jazzy, old school, on se rejoint pas du tout – Madlib, MF Doom, même A Tribe Called Quest il kiffe pas !
Gringe : Je suis hermétique à certains types de sons…
Vous écoutez quoi en ce moment ?
Gringe : J’ai bien aimé le projet de Joke, ça m’a parlé. Maître Gims, je suis un adorateur, c’est un mec sans limite, complètement fou. Kaaris aussi, c’est vachement dans l’air du temps, tout le monde en parle. C’est vrai que le mec a une plume, un truc.
Orelsan : Ouais c’est chanmé. Quand on est en bagnole, ça finit toujours en Kaaris. On écoute Drake à mort aussi. Sinon j’écoute Danny Brown, j’ai québlo sur Kendrick Lamar, le dernier Pusha, The Weeknd, Arctic Monkeys…
Le dernier Eminem ?
Orelsan : Pour l’instant j’aime pas, mais je n’ai écouté que quelques sons. Je kiffe Rihanna mais j’ai pas envie de les voir ensemble. Après c’est Eminem, je suis en train de te dire que j’aime pas, mais je l’adore hein, je connais par cœur, c’est juste que c’est pas ça que j’ai envie d’entendre. J’aurais préféré qu’il prenne des risques de ouf.
Ça vous intéresse les clashs entre Booba, Rohff, La Fouine ?
Orelsan : Les clashs, ça fait partie du rap. On suit la story. Après, c’est pas nos affaires.
Vous avez vu « La Vie d’Adèle » ?
Orelsan : Pas encore. Moi je suis un gogol, je vais voir Thor au cinéma. La Vie d’Adèle, c’est le genre de film que tu vois avec ta meuf, et après tu te dis « ah il est bien en fait ». Mais j’ai envie de lire la BD. Ça se trouve c’est chanmé, les cheveux bleus j’aime bien.
Gringe : Moi je kiffe les films de Kechiche, La Graine et le mulet, L’Esquive.
Vous habitez encore ensemble ?
Orelsan : Non !
Gringe : Enfin je dors entre lui et sa meuf une semaine sur deux.
Orelsan, tu vivais à Caen lorsque ton premier album est sorti, tu t’es rapproché de Paris pour le deuxième. Là, t’as franchi le périph ?
Orelsan : Oui, j’habite à Paris. Je connais les arrondissements, j’ai plus besoin de prendre mon GPS, je peux même prendre le métro sans regarder le plan. Mais ça ne me plaît pas, je vais me barrer. Je rencontre plein d’artistes, c’est une belle ville, mais il y a beaucoup trop de monde… L’espace me manque. Je vais prendre l’air au moins trois ou quatre mois, au soleil, me faire oublier, bosser dans mon coin. J’ai envie de prendre des vacances. Ça fait un peu chier de le dire, j’aimerais bien passer pour un glandeur extrême, mais j’ai pas du tout glandé dernièrement. Quand j’écoute notre album, j’ai envie de me refoutre en coloc. Aller traîner en ville, claquer une bouteille sans aucune raison. D’ailleurs j’avais arrêté de boire pendant six mois mais là je m’y remets à fond. Le disque me donne trop envie de refaire comme avant.
Dans un morceau de l’album, ton « personnage » dit : « plus t’avances, plus tu régresses »…
Orelsan : J’ai parfois ce sentiment mais au fond je ne pense pas régresser. Je ne sais pas si je progresse, mais j’essaye d’évoluer. J’ai l’impression d’être plus ouvert qu’avant. J’arrive à être à peu près heureux.
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