Cinquante photographes, huit lieux d’exposition et des dizaines de sensibilités, d’approches et de thématiques différentes. Forts du succès de la première édition en 2015, l’Institut du Monde Arabe et la Maison Européenne de la Photographie ont choisi cette année de poursuivre leur exploration de la création photographique dans le monde arabe, avec cette fois une […]
Evénement artistique majeur de la rentrée, la seconde Biennale des photographes du monde arabe contemporain accueille jusqu’à mi-novembre une cinquantaine de photographes dans huit lieux différents d’exposition. Focus sur quatre d’entre eux.
Cinquante photographes, huit lieux d’exposition et des dizaines de sensibilités, d’approches et de thématiques différentes. Forts du succès de la première édition en 2015, l’Institut du Monde Arabe et la Maison Européenne de la Photographie ont choisi cette année de poursuivre leur exploration de la création photographique dans le monde arabe, avec cette fois une attention particulière pour la « jeune photographie » (entendre la photographie d’aujourd’hui) et pour certains territoires trop souvent négligés dans le domaine de l’art.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si l’Algérie a la part belle avec vingt jeunes photographes exposés à la Cité Internationale des Arts, l’IMA accueille de son côté une formidable exposition réunissant là encore une vingtaine de photographes opérant cette fois essentiellement en Tunisie. En galerie, les cadres sont plus flous mais les approches non moins riches et exaltantes. Travail documentaire, plastique, photographie conceptuelle, tous les genres sont représentés pour proposer un voyage lyrique, poétique et éminemment politique à travers territoires et patries du monde arabe.
Nassim Rouchiche, ça va waka
Ikbal / Arrivées, Cité internationale des Arts
On connait tous le sort des migrants une fois qu’ils atteignent l’Europe. Mais qu’en est-il quand leur parcours migratoire a pour destination finale l’Algérie ? Après avoir traversé le Sahara, plus grand désert du monde, nombreux pourtant sont les survivants qui décident de s’arrêter là, sans aucune possibilité de faire marche-arrière et sans grande chance non plus de pouvoir un jour aller plus loin. Une vie de fantôme les attend dès lors.
Terrés dans les sous-sol d’une cité d’Alger, ils déploient leurs forces pour passer inaperçus auprès des autorités tout en reconstruisant un semblant de vie. Mais au-delà de l’enfermement géographique qu’est désormais le leur, ces migrants pour la plupart originaires d’Afrique subsaharienne s’apprêtent alors à connaitre une nouvelle forme d’enfermement, vis-à-vis de la population locale cette-fois : l’indifférence. « On voit ces gens là sortir, travailler, donner des coups de main, rentrer chez eux. Mais tout le monde aujourd’hui préfère éviter la question de leur présence et de leur intégration, explique Nassim Rouchiche« .
En utilisant une technique simple mais extrêmement efficace qui consiste à jouer avec le temps d’exposition, le photographe parvient alors à symboliser cet état de transparence dans lequel est enfermée cette communauté pour mieux créer le débat et pousser les Algériens à considérer sérieusement la question.
Michel Slomka, Sinjar, Naissance des fantômes
À la Mairie du IVe arrondissement de Paris se niche une autre exposition hors du commun, sur un sujet là encore complexe et méconnu. « Sinjar, naissance des fantômes », du photographe français Michel Slomka, se penche avec une sensibilité et une profondeur folle sur la question du trauma chez un peuple dont la violence et la persécution fait partie intégrante de l’identité : les Yézidis, cette minorité religieuse ancestrale basée en Mésopotamie qui, après déjà plusieurs siècles de persécution, a subi en 2014 un massacre colossale, perpétré par l’organisation État Islamique dans la ville sacrée de Sinjar.
« Survivre, oui, mais après ? Quelles sont les capacités des survivants – et au-delà de la communauté tout entière – à faire face à l’extrême violence et à se reconstruire dans cet état de fragilité où l’avenir semble aboli par la puissance du traumatisme ? » C’est à ces questions que tente de répondre l’exposition brillamment construite, où le travail d’auteur se met au service d’une recherche documentaire dense et passionnante, que l’on retrouve plus en détail dans le très beau livre du même nom publié pour l’occasion.
Bruno Hadjih, Nous n’irons pas nous promener
Institut du Monde Arabe
L’histoire de cette série est celle du rétrécissement des territoires sur lesquels peut s’aventurer l’être humain. Un rétrécissement a priori invisible, dissimulé, mais qui transforme pourtant un paysage synonyme d’immensité et de liberté en zone dangereuse et contaminée. En 1962, des essais nucléaires lancés par le gouvernement français ont en effet irradié une région entière du Sahara. Quelques années plus tard, c’est cette zone que l’Algérie indépendante a délibérément choisi pour y envoyer 25 000 prisonniers. D’un fabuleux no man’s land, cette région s’est donc transformée en lieu de danger, puis d’enfermement.
Se pose alors la question du témoignage. Car pour B. Hadjih, « ne rien faire, c’est aussi participer aux dégâts causés par d’autres ». En juxtaposant portraits et paysages, le photographe replace donc ses sujets dans leur lieu d’enfermement à ciel ouvert. Et à travers l’ensemble des dispositifs qu’il utilise et la démarche plasticienne qu’est la sienne ici, il parvient à la fois à déconstruire les apparences, à nous rappeler que la beauté de ces lieux est profondément vénéneuse, et à mettre l’art et le documentaire au service de l’histoire.
Marco Barbon, The Interzone
Galerie Clémentine de la Féronnière
Photographier un lieu qui n’existe pas. Ou plutôt, réussir à aborder la ville comme une ligne de frontière entre le réel et l’imaginaire, entre l’expérience réellement vécue et l’image d’une ville que l’artiste porte en lui, nourrie de mythes, de récits littéraires et cinématographiques. Voilà tout l’enjeu pour le photographe italien Marco Barbon avec cette exposition intitulée The Interzone en hommage au livre de William Burroughs, qui met en scène la ville de Tanger, ville frontière par excellence.
Une ville chargée de rêves et de fantasmes donc, mais qui se révèle ici essentiellement à travers l’absence, le vide. Une manière de laisser les image respirer, mais surtout de laisser le spectateur les compléter par son regard et ses projections propres. Comme avec cette incroyable photo prise depuis la fenêtre du célèbre Café Baba sur les toits de la médina, où les Rolling Stones avaient leurs habitudes et venaient chercher l’inspiration.
Deuxième Biennale des photographes du monde arabe contemporain,
jusqu’au 13 novembre, Paris.
{"type":"Banniere-Basse"}