En filmant et remaniant la version des “Trois Sœurs” de la Comédie-Française, Valeria Bruni Tedeschi adapte Tchekhov à son univers.
Après avoir jadis incarné sur les planches la Sophia de Platonov sous la direction de Patrice Chéreau, joué un spectacle composé de fragments d’œuvres de Tchekhov au Festival d’Avignon, puis mis elle-même en scène au cinéma une extrapolation moderne de La Cerisaie (dans Un château en Italie), il était logique que Valeria Bruni Tedeschi soit chargée de filmer la version des Trois Sœurs de la Comédie-Française.
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Ceci s’inscrivant dans la collection Théâtre d’Arte, qui a déjà proposé des films tirés d’autres spectacles de la même institution (La Forêt d’Ostrovski revue par Desplechin et Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux adapté par Valérie Donzelli).
Autoportrait déformant de Tchekhov
Cette fois encore, la distribution est la même qu’au théâtre. En l’occurrence, celle de la version dirigée en 2010 par Alain Françon. Mais pour la réalisatrice, adapter ne signifie pas recopier textuellement. En filmant réellement la pièce à la campagne (dans un château d’Eure-et-Loir), où elle est théoriquement située, Valeria Bruni Tedeschi l’a amplement remaniée avec sa comparse (presque habituelle) Noémie Lvovsky, et Caroline Deruas en guise de troisième sœur (d’écriture).
Certes, de nombreux dialogues originaux ont été conservés tels quels dans le film. Par exemple, ceux du docteur Tchéboutykine, le plus désabusé du lot, dont on pourrait penser qu’il est une sorte d’autoportrait déformant de Tchekhov, médecin de formation.
Mais certains passages de la pièce ont été intervertis, des séquences importantes supprimées (comme celle de l’incendie), d’autres ajoutées (celle de la séance de cinéma), et certains personnages minimisés, en particulier les plus âgés, Anfissa et Feraponte.
Décadence d’une maison bourgeoise
En revanche, des séquences qui étaient off (le duel) deviennent in dans le film. Le remaniement de la pièce et ses modifications n’empêchent pourtant pas la “nostalgie du futur” chère à Tchekhov d’imprégner de A à Z cette chronique de la décadence d’une maison bourgeoise de la province russe, fréquentée par des officiers d’une garnison voisine.
Les trois sœurs du titre, Irina, Olga et Macha, perdront des plumes et leurs derniers espoirs au cours de cette sorte de jeu de la vérité frôlant la folie. Notion que la version de Bruni Tedeschi rend peut-être plus explicite. Elle contrebalance la dépression qui rôde par une nervosité constante.
Au lieu de repousser mollement un prétendant, Irina lui donne des tapes.
L’excitation culmine lors d’une séquence de fête assez démente proche de l’orgie, dont il est clair que Tchekhov ne l’avait pas prévue. Son désespoir gai touche à l’expressionnisme.
Les Trois Sœurs film de Valeria Bruni Tedeschi, vendredi 4 septembre, 20 h 50, Arte
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