La quatrième édition de Total Danse offre une programmation à l’image de la Réunion : multiple et élargie à la diversité artistique de l’océan Indien.
Le festival Total Danse témoigne d’un engouement pour la danse contemporaine à la Réunion, en plein essor depuis quinze ans. Sa quatrième édition, programmée par Pascal Montrouge avec Bernard Faille, prend en compte une attente et une exigence du public qui reflètent bien l’évolution de l’île, qui a vu sa population doubler en deux générations (400 000 habitants dans les années 70, 800 000 aujourd’hui) et voyager plus souvent, suscitant un désir croissant d’être en contact avec la vitalité artistique de la métropole et du reste du monde.
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Pour Pascal Montrouge (chorégraphe, directeur artistique en 2007, avec Bernard Faille, du festival Saint-Denis danse – aujourd’hui disparu – et désormais directeur des deux théâtres départementaux de Champ Fleuri et Plein Air), les trois festivals programmés à l’année – festival jeune public en février-mars, de jazz en avril et de danse en novembre – s’inscrivent dans une volonté assumée de proposer le meilleur de la création, locale, nationale et internationale dans les deux plus anciens théâtres de la Réunion : “Le théâtre de Plein Air a fêté ses 40 ans il y a trois ans et vient d’être labellisé monument historique et patrimoine remarquable du XXe siècle. Et le théâtre de Champ Fleuri date de 1985. En fait, ce sont les deux premiers théâtres de l’île et le public les reconnaît comme de vrais théâtres populaires. Comme on est d’une génération qui a pu prendre l’avion pour venir faire des études à la métropole, j’avais l’impression qu’il fallait sortir le public de sa léthargie et le révéler, tout simplement, au sens chimique du terme. Dès la première saison, on a programmé Wajdi Mouawad avec Littoral et le théâtre était plein. Les spectateurs étaient là, il a juste fallu ouvrir les portes et faire appel d’air. Comme je suis réunionnais, mon objectif en tant que directeur, c’est de garder le contact avec le reste du monde.”
Tout en privilégiant une programmation à l’image de la Réunion, c’est-à-dire multiple et élargie à la diversité artistique de l’océan Indien, ce dont témoigne la soirée consacrée au Mozambique : “La dernière des choses à faire avec l’île, c’est de la spécifier, insiste Pascal Montrouge. Même dans les festivals, il faut que ça reste multiple. On a un public qui vient tout voir, c’est étonnant. A la première édition de Total Danse, on a programmé Jerk de Gisèle Vienne. Jonathan Capdevielle (son interprète – ndlr) n’en revenait pas et m’a dit : ‘Il y a longtemps que je n’avais pas eu une écoute aussi belle.’ Personne ne nous a demandé ce que ça venait faire dans un festival de danse. On a cette ouverture qui est formidable.”
Si Total Danse invite des œuvres du répertoire, classique revisité ou contemporain (José Montalvo, Anne Teresa De Keersmaeker, la Batsheva), il met surtout en avant une vision multiple de la danse et du corps en mouvement : “Notre volonté à Bernard Faille et moi-même est de tirer un axe vertical qui serait celui du corps. Le corps en mouvement ou le corps dans une situation de représentation. D’où la présence de la performeuse Marina Abramovic, qui pose le corps comme un enjeu dans un travail qui n’est pas loin de la danse. De la même façon, des jongleurs, comme Defracto, interrogent le corps en mouvement et avec des positions particulières puisqu’ils sont sur ce qu’ils appellent des ‘bras mous’. Ou encore la proposition de la plasticienne Myriam Omar Awadi qui invite le public à visiter une exposition de ses tableaux en présence d’un médiateur, un comédien en fait, qui va les décrire. Le mouvement passe par la parole et travaille sur l’imaginaire du corps. Il y a quelque chose de l’ordre de la réinterprétation du corps.”
La danse contemporaine réunionnaise reflète elle aussi l’évolution de l’île depuis un demi-siècle. “Historiquement, il y a quatre grandes étapes. D’abord, les années 60-70, où des personnes arrivent à affronter le regard et le jugement de la famille pour devenir enseignants. Dans les années 80 émerge une génération de danseurs, dont je fais partie, qui vont devenir chorégraphes dans les années 90 : Yune Chan, Eric Languet, Valérie Berger, Sylvie Robert. Cette génération se forme et fait carrière à Paris, puis revient à la Réunion. Dans les années 2000, on a une autre génération de chorégraphes issus de ces compagnies et qui ont un travail plutôt local. Enfin, dans les années 2010 apparaît une génération d’artistes-chorégraphes issus de familles réunionnaises qui ont quitté l’île dans les années 90-2000 et ont migré vers la métropole. Ils ont vécu au sein de familles réunionnaises, mais ne connaissent pas la Réunion et ont maintenant envie de se réinvestir ici. Je pense notamment à Jérôme Brabant, Guillaume Martinet de Defracto, et Kevin Jean qui est interprète chez Pascal Rambert dans Libido Sciendi et présente aussi sa création, La 36e Chambre. Bizarrement, c’est une génération qui ne parle pas créole, mais qui n’a entendu que cette langue-là… Cette identité, ils veulent la reposer sur cette île.”
Une volonté à laquelle Total Danse répond, donnant une place à la fois centrale et symbolique à l’ouverture au monde et au désir de désenclavement vécu par les insulaires.
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