Le refus des pays occidentaux de boycotter les Jeux olympiques 2014 d’hiver en Russie n’est pas seulement dicté par des intérêts économiques. Passage en revue, en cinq points, des arguments avancés par les anti-boycott.
La lettre envoyée par l’acteur Stephen Fry au Premier ministre anglais David Cameron le 7 août dernier avait quelque chose de poignant, d’électrisant. Son appel était aussi simple que direct : boycotter les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. « Poutine ne peut pas être soutenu par le monde civilisé« , résumait-il, n’hésitant pas à comparer les prochains événements de Sotchi aux Jeux d’été de Berlin en 1936.
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David Cameron, qui a soutenu la légalisation du mariage entre personnes de même sexe depuis 2011, a répondu a Stephen Fry sur Twitter le 20 août 2013. « Merci pour votre note. Je partage vos profondes inquiétudes concernant le mauvais traitement réservé aux homosexuels en Russie. Toutefois, je crois que nous pouvons mieux contester les préjugés en allant aux Jeux olympiques d’hiver qu’en les boycottant. »
2/2 @stephenfry However, I believe we can better challenge prejudice as we attend, rather than boycotting the Winter Olympics. DC
— David Cameron (@David_Cameron) August 10, 2013
Une déclaration qui a fait écho au positionnement de Barack Obama, qui, la semaine passée, avait annoncé qu’il ne trouvait pas « approprié de boycotter les Jeux« , bien qu’il précisait : « personne n’est autant offensé que moi par certaines lois anti gays et lesbiennes« .
Plusieurs arguments peuvent expliquer ce choix de ne pas boycotter les Jeux olympiques. Nous en avons listé cinq.
• Des intérêts économiques qui priment sur le reste
C’est l’argument le plus souvent mis en avant par les pragmatiques. Il ne serait simplement plus possible de boycotter les Jeux olympiques depuis des années. Pour Eric Monnin, auteur du livre De Chamonix à Sotchi et docteur en sociologie, le tournant se fait lors des Jeux olympiques de 1984 à Los Angeles.
« Pour la première fois, les Jeux ont été rentables. On a quitté une ère politique pour entrer dans une ère économique. Aujourd’hui, le taux de croissance est tellement faible dans les pays européens que si on boycotte, on loupe des marchés. Cette ère économique prend le pas sur les états d’âme. »
Et le sociologue de faire le parallèle avec les Jeux de Pékin en 2008, que de nombreux militants pour les droits de l’homme avaient appelé à boycotter sans succès. « A l’époque, la Chine avait un taux de croissance de 12% » rappelle Eric Monnin.
Au-delà de cet aspect macroéconomique, un autre détail a son importance : boycotter les Jeux reviendrait à perdre des centaines de millions d’euros en terme de diffusions des épreuves sur les télévisions nationales. La chaîne américaine NBC a par exemple acheté les droits de diffusion des Jeux de Sotchi pour 775 millions de dollars. Sachant que lors des JO de Vancouver (2010), la chaîne avait déjà perdu 200 millions, alors que les Etats-Unis avaient été brillants, on ne peut qu’imaginer le désastre en terme d’audience en cas d’absence des athlètes américains aux JO de Sotchi.
• Il faudrait le soutien de beaucoup trop de pays
Historiquement, pour qu’un boycott ait un impact important sur les Jeux, il faut qu’il soit suivi par un grand nombre de pays. En 1976, ce sont 28 Communautés nationales olympiques (CNO) (pour 92 participantes) qui avaient refusé de se rendre aux JO de Montréal. Le Canada aurait engrangé 1,5 milliard de dollars de dette à la suite de ce boycott.
« Pour qu’un boycott soit efficace, il faudrait qu’au moins un tiers des CNO y prennent part. Et que de ce fait, la qualité sportive des Jeux soit médiocre« , considère Eric Monnin.
Même certains boycotts, largement suivis, n’ont pas eu l’impact escompté. En 1980, ceux de Moscou ont été rejetés par 52 CNO (pour 80 participantes), qui s’opposaient en majorité à l’invasion de l’Afghanistan par la Russie en décembre 1979. Il a pourtant fallu dix ans avant que l’armée soviétique n’en retire ses troupes.
• Mettre l’homophobie en Russie sous le feu des projecteurs
C’est l’un des arguments sous-jacents aux décisions de messieurs Cameron et Obama : participer aux Jeux olympiques serait l’occasion de ne pas fermer les yeux sur ce qu’il se passe en Russie. D’autant plus que certains représentants d’associations LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans) en Russie s’opposent farouchement à tout boycott des pays occidentaux, comme Nikolay Alexeyev, fondateur de la Gay Pride russe créée en 2005 et interdite.
« Ces opposants russes LGBT au boycott sont surreprésentés dans les médias« , estime toutefois Alexandre Marcel, président du Comité Idaho France qui lutte contre l’homophobie et la transphobie et a appelé au boycott des Jeux olympiques de Sotchi.
« Les militants LGBT russes voulaient faire une ‘Pride House’ (maison des fiertés) dans le village olympique, mais cela leur a été refusé. J’ai même rencontré le chef de cabinet de la ministre française de la Jeunesse et des Sports pour leur demander de nous aider à créer cette maison. Mais ils ont répondu qu’ils ne pouvaient pas nous aider – même si sur le principe, je ne doute pas de l’engagement de la ministre pour la cause homosexuelle. Mais il n’y a rien en pratique. »
Le Directeur général du Comité international olympique (CIO), Christophe de Kepper, a quant à lui répondu à Alexandre Marcel qu’une telle structure était interdite, car « la Pride House est de l’initiative privée, et que [le CIO] n’a jamais créé de maisons spéciales« .
Certains militants estiment quand même qu’il vaut mieux ne pas boycotter, comme Andrei Tanichev, patron d’un bar gay russe. « La Russie ne pourra rien faire, par exemple, contre les athlètes qui comptent porter des T-shirt arc-en-ciel » confiait-il à l’AFP en octobre dernier.
• Les JO d’hiver n’ont pas la même ampleur que ceux d’été
Traditionnellement, les JO d’hiver n’attirent pas autant de monde que ceux d’été. En 2010, 82 Communautés nationales olympiques ont participé à ceux de Vancouver (d’hiver). A titre de comparaison, les JO de Pékin en 2008 (d’été) ont attiré 204 CNO. Une différence de taille, qui mène Eric Monnin à qualifier les Jeux olympiques d’hiver de « familiaux« .
Ceux de Sotchi devraient attirer environ 2 000 athlètes, contre 11 000 à Londres en 2012. « Les JO d’hiver sont des jeux plus ‘européens’, dans le sens où il y a peu d’Amérique du Sud, peu d’Asie… A Vancouver, 62,4% des médaillés étaient européens, contre 24,6% d’Américains. » Aussi, un boycott n’aurait pas de grande influence, car ces Jeux sont beaucoup moins suivis que les JO dits d’été.
Un argument que retourne Alexandre Marcel : « Justement, si ces Jeux n’ont pas la même importance, autant le faire, car il y aurait moins de risques. »
• Une punition pour les athlètes
C’est un détail à l’échelle de toute une communauté LGBT, mais les Jeux olympiques représentent un enjeux immense pour de nombreux sportifs, souvent le résultat de longues années de préparation. « J’ai rencontré des athlètes américains« , raconte Eric Monnin, « le cœur déchiré de ne pas être allés à Moscou en 1980. Ils parlent d’un boycott qui a gâché leur vie« . Loin de remettre en cause les raisons qui peuvent pousser une Communauté nationale olympique à boycotter des Jeux, ce « détail » reste une réalité.
Cela n’empêche pas certains athlètes d’avoir appelé à boycotter les Jeux de Sotchi, comme la cycliste Judith Arndt, ouvertement homosexuelle, médaillée d’argent aux JO de Londres.
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