Un livre très documenté explique comment, après l’illustration dessinée, la photo devint indissociable de la presse moderne à partir de 1840. Jusqu’aux abus d’aujourd’hui.
La Fabrique de l’information visuelle – Photographies et magazines d’actualité, ouvrage extrêmement fouillé de Thierry Gervais sur les origines de la photo de presse, est un prolongement de sa thèse de doctorat, “L’Illustration photographique – Naissance du spectacle de l’information” (2007). Assisté par Gaëlle Morel (docteur en histoire de l’art), Gervais élargit son sujet en poursuivant son étude jusqu’à la fin du XXe siècle. On voit qu’en un siècle et demi la presse illustrée a graduellement glissé de la fascination documentaire de ses débuts à la frénésie du people – phénomène auquel a, par exemple, contribué Daniel Filipacchi quand il reprit Paris Match en 1976.
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Les publications allemandes des années 1910-1920 : pionnières et avant-gardistes
Après le passage graduel et élégamment négocié du dessin à la reproduction photographique dans la seconde moitié du XIXe siècle, grâce à la similigravure (procédé ensuite remplacé par l’héliogravure), l’enjeu principal au cours du XXe siècle, dans une presse magazine d’abord dominée par la France et les Etats-Unis, puis par l’Allemagne, semble avoir été le réalisme. Dans des magazines comme L’Illustration (France) ou Collier’s Weekly (Etats-Unis), on initie une formule qui fera florès : la séquence d’images, chronologique ou non, calquée sur le modèle du cinéma documentaire. Pour faire plus vrai, on n’hésite pas à intégrer des photos soit floues, soit prises sous des angles pseudo-subjectifs.
Les Allemands poussent le principe à la perfection dans des magazines comme le Berliner Illustrirte Zeitung ou le Münchner Illustrierte Presse, dès les années 1910-1920, grâce à des appareils photo légers (Leica). Ces publications allemandes, qui marquent les débuts du photojournalisme moderne, innovent avec leurs mises en page sophistiquées, en partie liées à l’apparition d’un nouveau concept : la direction artistique (exemple : le génial constructiviste John Heartfield du journal communiste Arbeiter Illustrierte Zeitung).
L’essai photographique supplanté par la starisation vulgaire
et la frénésie du people
Par ailleurs, on privilégie les photos instantanées et non posées (cf. Erich Salomon ou Martin Munkácsi, un des inspirateurs de Cartier-Bresson). A la suite de l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, la plupart de ces photographes et directeurs artistiques allemands se réfugient en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Ils régénèreront notamment la presse magazine américaine, dont le fleuron sera Life, fondé en 1936 par Henry R. Luce, très inspiré par les Allemands. Le plus bel apport de Life sera l’invention d’un sous-genre s’éloignant du simple reportage d’actualité : l’essai photographique, “étape supplémentaire dans la reconnaissance journalistique du photographe”.
Celui-ci devient un auteur, un artiste célébré, collectionné. Au lieu de relater un événement précis, un fait divers, l’essai illustre une notion, une particularité, un particularisme, un rite, un voyage, etc. S’il y a une catégorie (poétique) qui manque cruellement aujourd’hui dans la presse magazine aussi bien que sur internet, c’est bien celle de l’essai, supplantée par l’anecdotique à tous crins et la starisation vulgaire.
La Fabrique de l’information visuelle – Photographies et magazines d’actualité de Thierry Gervais (Textuel), 240 pages, 29 €
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