23 juin 2017, salle Wagram, défilé Comme des Garçons Homme. Le podium est carré et le public sagement assis tout autour. Si Rei Kawakubo est généralement adepte d’ambiances monacales et inquiétantes, cette saison, l’atmosphère est toute autre. Sur fond de morceaux disco, sous des projecteurs multicolores, une ribambelle de jeunes mannequins déambulent et se trémoussent […]
Issey Miyake et William Forsythe, Jean Paul Gaultier et Angelin Preljocaj, Chanel et Diaghilev… L’idylle entre mode et danse ne date pas d’hier. Pour autant, depuis quelques saisons, la limite entre inspiration et obsession a été franchie par l’industrie de la mode. Les créateurs n’ont d’yeux que pour les danseurs et les chorégraphes. D’où leur vient donc cette fascination ?
23 juin 2017, salle Wagram, défilé Comme des Garçons Homme. Le podium est carré et le public sagement assis tout autour. Si Rei Kawakubo est généralement adepte d’ambiances monacales et inquiétantes, cette saison, l’atmosphère est toute autre. Sur fond de morceaux disco, sous des projecteurs multicolores, une ribambelle de jeunes mannequins déambulent et se trémoussent joyeusement. Le spectacle fait l’unanimité. Des bonnes ondes à diffusion rapide : en sortant, tous les spectateurs arborent le même sourire ravi.
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Idem, quelques mois auparavant, au show Rabih Kayrouz printemps-été 2017. Pour l’occasion, le créateur libanais s’est entouré de Marie-Agnès Gillot et des danseuses de l’Opéra de Paris. Au gré de leurs pas est mise en lumière la richesse des créations de Rabih Kayrouz : ampleur des robes, souplesse des coupes et lumineux reflets des tissus. Le mouvement révèle le vêtement dans toute sa beauté et son opulence. Tonnerre d’applaudissements.
« Les spectateurs sont réceptifs pour la simple et bonne raison qu’il y a un échange réel, un vrai dialogue qui s’opère« , explique Olivier Casamayou, moitié du duo de chorégraphes et directeurs créatifs I Could Never Be A Dancer. « Parce qu’en général les designers mettent beaucoup d’eux-mêmes dans ces mises en scène. »
Réinjecter un peu d’humain et redonner de la chaleur à ces shows aujourd’hui si figés et codifiés : la danse serait-elle l’ingrédient miracle ? « Certainement, assure Olivier Casamayou. L’entertainment est au maximum et le public est ravi. La danse attire la mode pour sa dimension positive et énergique. »
Mais l’alliance de ces deux disciplines n’est pas si évidente. « Pour le couturier, c’est une manière de sortir du lot, certes, mais c’est aussi le risque que ses vêtements ne soient pas montrés de la manière la plus académique et la plus vendeuse. Que le show prenne le pas sur la collection. Et puis aujourd’hui les timings sont tellement serrés, un défilé dansé ne peut être expédié en 5 ou 7 minutes. Le produit peut être mal compris, mais cela peut aussi tomber à plat : la mode a parfois un rapport à la danse assez naïf. »
Le danseur, nouvelle icône de mode
Si la beauté de cette discipline émerveille, ceux qui la maîtrisent fascinent d’autant plus. L’influence des danseurs va désormais bien au-delà des couloirs de l’Opéra. Leur rayonnement est grandissant : les marques se les arrachent. Aurélie Dupont a récemment été choisie comme égérie de la marque de maroquinerie Jérome Dreyfuss, Marie-Agnès Gillot invitée par Petit Bateau à réaliser une collection capsule, la ballerine américaine Misty Copeland nommée égérie du dernier parfum Estée Lauder, Modern Muse. Benjamin Millepied, quant à lui, est sur tous les fronts : égérie Yves Saint Laurent Parfums et Zegna, il chorégraphie de nombreuses campagnes publicitaires et performances pour des marques en tous genres (Sézane, Nuxe, Van Cleef & Arpels…)
Sollicités de tous les côtés, ils incarnent un ensemble de valeurs intéressantes pour les maisons de mode en termes d’image. Le danseur, c’est le surpassement de soi, la rigueur, l’élégance, l’implication artistique absolue, la beauté. Celui qui danse a une totale maîtrise de son corps, à l’opposé du mannequin, fascinant par son corps aux proportions hors normes mais sur lequel il n’a aucune emprise.
« Quasiment tout le monde a la même réaction lorsque nous disons que nous sommes chorégraphes, Carine et moi, poursuit Olivier Casamayou. Le réflexe quasi unanime c’est de dire ‘ah mais moi je suis très mauvais danseur’. Si l’on dit à quelqu’un que l’on est acteur, il ne se passe pas la même chose. La question de la danse touche à quelque chose de profondément personnel, comme si tout le monde devait savoir bouger et maîtriser ses mouvement de manière harmonieuse. »
Maîtrise, performance et beauté
Interviewée par L’Obs il y a quelques mois à l’occasion du show Rabih Kayrouz, Marie Agnès Gillot évoquait « la suprématie physique du danseur, enviable et admirable« . Pierre Emmanuel Sorignet, danseur, sociologue et auteur du livre Danser. Enquête dans les coulisses d’une vocation, confirme cette idée. « Ce sont des individus qui ont un capital beauté important doublé d’un capital corporel et performance très élevé. Ce sont de véritables phénomènes aux yeux du public. »
Dans le cas des maisons de luxe, le rapprochement de ces deux univers est finalement assez évident : « Le luxe ne choisit pas n’importe quels danseurs, ce sont souvent des danseurs classiques, issus de l’Opéra de Paris ou d’autres institutions très réputées et respectées. Tout ça est très marqué socialement parlant, et ressemble à la clientèle des maisons en question, » explique Pierre Emmanuel Sorignet.
Pour autant, qu’il s’agisse de classique, de soul des années 60 dans la dernière campagne Gucci, de swing chez Hermès, de contemporain chez Carven, l’industrie oublie parfois que le corps du danseur n’est en aucun point comparable à celui des top models. « On se retrouve souvent confrontés à des commentaires du type : on ne peut pas avoir les mêmes danseuses en plus grandes ? » s’amuse Olivier Casamayou. La mode n’est pas encore tout à fait prête à perdre ses (mauvaises) habitudes.
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