Ce printemps, plusieurs expos, à Paris et en province, témoignent de la modification de nos habitudes perceptives et repensent la présentation des images comme une expérience d’immersion.
Le monde, nous y avons accès du bout des doigts, rappelait le philosophe Michel Serres qui, pour décrire notre condition digitale, s’était fendu d’un néologisme : la génération Petite Poucette. Par là, il soulignait la manière dont la technologie s’immisce jusque dans les replis les plus intimes de nos chairs, passant par le pouce, les doigts au contact de l’écran, pour gagner l’organisme et venir se nicher à même nos capacités sensorielles. Ces mutations influencent aussi les expositions, qui transposent dans l’espace notre lecture à l’écran des images et témoignent de nouvelles habitudes perceptives.
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Cet hiver, le commissaire Eric Troncy constituait “un panorama à la Google” lors de son expo The Shell à la galerie parisienne Almine Rech. Sans chronologie, comme en lecture aléatoire, les tableaux couraient le long des murs, sur le modèle du flux continu d’un feed Tumblr ou Instagram. Un imaginaire auquel faisait écho au même moment Scroll Infini à La Galerie de Noisy- le-Sec qui d’ailleurs, à son achèvement, migrait vers le support même qui lui avait donné sa forme, documentée sur un Tumblr où l’on peut encore faire défiler les clichés pris par les spectateurs. Le panorama, c’est encore la forme qu’adoptera à Marseille l’expo Fomo, dont le titre est l’acronyme de “fear of missing out”, un terme qu’il a fallu inventer afin de décrire une pathologie d’un nouveau genre : l’angoisse d’être passé à côté du dernier buzz. A partir de mai, chacun des trois étages de la Friche la Belle de Mai se retrouvera plongé dans une atmosphère différente : aube, zénith ou crépuscule. Une expérience immersive qui explorera les notions brouillées de direct et de différé, alors que désormais, être online et offline, connecté et déconnecté, apparaît comme la double face réversible d’un même être-à-l’écran.
Des fossiles, ceux que nous produisons à tour de bras
Pour s’en rendre compte, on se rendra à Pougues-les-Eaux. Non pas pour son improbable casino-planétarium mais pour son centre d’art attenant, le Parc Saint Léger, où se tient Deep Screen, une exposition du collectif It’s Our Playground. Le duo, à la ville Camille Le Houezec et Jocelyn Villemont, a réalisé ses premières expositions sur internet, les hébergeant sur sa plate-forme curatoriale itsourplayground.com. En passant de l’autre côté de la membrane virtuelle, ils opèrent le même processus de rematérialisation des images glanées sur le net que nombre d’artistes qu’ils exposent, issus pour la plupart de la génération des “digital natives”, nés dans les années 80.
On ne se passera pas de l’écran de verre pour autant. Au Parc Saint Léger, les œuvres sont présentées dans trois grandes vitrines ethnographiques, créant d’étranges dioramas historiés qui parlent de technologies déjà frappées d’obsolescence, contre lesquelles on viendra cette fois-ci coller le nez à défaut de les regarder du bout des doigts.
Qu’y verra-t-on, dans ce musée des arts et traditions populaires d’un nouveau genre ? Des fossiles, surtout, ceux que nous produisons à tour de bras, à l’image de la série des “objets trouvés” d’Hayley Tompkins, qui recouvre de gouache rose un téléphone de type Nokia 3310. Mais aussi du folklore, notamment les produits dérivés de Cory Arcangel, qui a commercialisé une ligne de vêtements de surf, Arcangel Surfware : une casquette imprimée de gradients Photoshop (dite “Fitted Otta Flexfit Hat”) et un T-shirt avec un symbole Yin-Yang (le “Spectrum Yin-Yang Crest T-Shirt”). L’attirail idéal pour pratiquer ces nouvelles expos où l’on glisse d’une image à l’autre, dans un panorama immersif et doucement rétroéclairé, où tout n’est que flux, calme et volupté.
Deep Screen jusqu’au 24 mai à Pougues-les-Eaux (Parc Saint Léger), parcsaintleger.fr
Fomo du 14 mai au 2 août à Marseille (Friche la Belle de Mai), lafriche.org
Scroll Infini à Noisy-le-Sec (La Galerie), à retrouver sur le Tumblr de l’exposition : scrollinfini.tumblr.com
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