Une exposition de tableaux de l’Américain John Currin : lubrique, osé et onaniste.
Au mieux, la peinture de John Currin passait pour anachronique ; au pire, pour une peinture destinée aux riches (qui le lui rendent bien), et pire encore, pour une peinture réactionnaire en ce qu’elle n’est ni conceptuelle ni abstraite, puis enfin en ce qu’elle est bien faite. Mais ça, c’était avant, avant que la peinture figurative ne se réinvente une généalogie plus grinçante, proche du vulgaire et flirtant avec le kitsch, à partir des figures tutélaires de Francis Picabia ou de Martin Kippenberger.
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N’empêche que les toiles de l’Américain, dont deux seulement sont entrées dans les collections publiques françaises et dont les autres n’ont été que très rarement montrées dans l’Hexagone, restent de drôles de trucs. Ses portraits ont pu dépeindre des personnages hébétés, harassés, mal proportionnés, dans une touche si appliquée qu’elle trahissait une maladresse insurmontable, comme celle de petits maîtres anciens. Et puis, John Currin, aujourd’hui âgé de 51 ans, s’est amélioré. Ou bien on s’est habitué. Ou bien encore, il n’y a plus lieu de forcer le trait : « La peinture figurative ne semble plus aussi vouée à l’échec qu’elle a pu l’être, alors je peins moins à propos de cela », dit-il dans le communiqué de presse de la galerie Gagosian.
Certes, les personnages (que des filles) gardent des traits parfois trop prononcés : l’une a des jambes trop fines, fuselées dans un jean étroit, qui supportent mal son petit ventre replet ; ces deux autres ont les seins voluptueux, que peinent à contenir des dessous aguichants, tandis qu’une autre encore est affligée d’un visage rectangulaire et d’un long nez à la géométrie similaire. Pourtant, ce ne sont pas du tout des caricatures. Plutôt des filles ni vraiment belles ni vraiment laides, ni sexy ni atroces. Mais elles cherchent à plaire et à séduire. Poses provocantes ou effrontées, tenue affriolante, gestes coquets, elles laissent affleurer leur désir sur la toile.
Mais le plus beau, c’est que même si la plupart ont le regard braqué sur vous, c’est avec la peinture elle-même que les femmes tiennent cette conversation intime. Avec le fond du tableau, chargé de motifs érotiques, de corps dénudés et enchevêtrés, peint dans un camaïeu de brun ou d’ocre et qui s’avance sans ambiguïté vers le personnage du premier plan. Ces muses lubriques de l’arrière-plan, qui viennent ainsi titiller les jeunes filles du premier rang, glissant une langue près de leur entre-jambe, ou les effleurant d’un doigt, représentent sans doute la peinture des siècles passés, le XVIe siècle grivois ou le XVIIIe des fêtes galantes. A moins que ce ne soit, tapis derrière, les fantasmes inavouables des jeunes filles qui posent.
Un des tableaux montre en effet une fille au verre de vin, dont la robe rouge colore tout le second plan. Autrement dit, l’ivresse la gagne, et si le rouge ne lui vient pas aux joues, c’est qu’il détrempe tous ses fantasmes, et tout le reste du tableau. Ce sont donc des toiles à double tiroir où, malgré les apparences, le modèle n’est jamais vraiment seul. Des toiles onanistes en somme. Ce qu’est au fond la peinture : une pratique qui se regardeet jouit de se regarder faire.
jusqu’au 21 décembre à la Gagosian Gallery, Paris VIIIe, www.gagosian.com
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