Avant de disparaître, le physicien américain travaillait à une étrange machine : un phonographe destiné à enregistrer les morts. Et si l’invention de l’électricité n’avait qu’un enjeu : l’éternité ?
Pionnier de l’électricité, Thomas Alva Edison (1847-1931) inventa la lampe à incandescence, le phonographe, la pile alcaline, la chaise électrique – en tout, il déposa 1 093 brevets avant de s’éteindre à 84 ans. Avec Le Royaume de l’au-delà, on découvre la toute dernière invention à laquelle il travaillait : une machine à enregistrer les morts. Edison fut l’un des inventeurs du cinéma et de l’enregistrement du son : deux outils qui immortaliseront bien des corps, bien des voix, pour faire ressusciter les êtres, longtemps après leur mort, sous la forme de fantômes électriques. Des machines à graver les humains pour l’éternité.
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L’objectif d’Edison était-il de faire revivre les morts ? Il paraît que ses biographes omirent trop souvent la mention de l’un de ses derniers textes, consacré à son désir de créer un phonographe qui enregistrerait les vibrations de particules d’âme survivant après la mort des corps. Car c’est ce qu’Edison croyait : “(…) il est parfaitement possible qu’une entité aussi complexe et aussi développée que le corps humain soit formée, en réalité, de myriades d’électrons invisibles” qui perdureraient dans l’atmosphère après la mort physique. Dès lors, il lui paraît absurde d’“espérer que les ‘esprits’ veuillent bien perdre leur temps à faire joujou avec des objets aussi grossiers, aussi peu scientifiques que des tables, des chaises ou un jeu de lettres. (…) Il faut placer le spiritisme sur une base scientifique, comme nous l’avons fait, par exemple, pour la chimie, et écarter définitivement les charlatans et les ‘médiums’.”
On apprend tout des sociétés psychiques américaines
C’est sur ce point qu’Edison rencontrera le plus d’opposition : pour certains, seul le médium, soit l’humain, peut entrer en contact avec les âmes des disparus. Vouloir le remplacer par une machine leur paraît aussi froid que vulgaire. On retrouve ici l’angoisse qui a toujours hanté les hommes depuis l’invention de l’électricité et des machines qui en découlent : être remplacés par des robots. Villiers de l’Isle-Adam ne s’y trompait pas en inventant, dans son roman diabolique, L’Eve future (1886), un scientifique américain du nom d’Edison, travaillant à construire une femme idéale : une androïde animée grâce à un influx électrique, qui semble dès lors aussi vivante que les vivants.
Ce petit livre bizarre se compose de deux textes passionnants : le texte d’Edison lui-même, précédé d’une longue introduction de Philippe Baudouin (chargé de réalisation à France Culture), qui nous plonge à la fin du XIXe siècle, un temps rompu à l’occultisme en même temps que naissent, et ce n’est pas un hasard, ces inventions qui vont enregistrer le passage terrestre des hommes. On apprend tout des sociétés psychiques américaines, des découvertes aussi bien scientifiques qu’occultes et de leur écho en littérature.
Les deux textes se rejoignent en une même question, fondamentale : qu’est-ce que l’âme, de quoi se compose l’esprit ? Sous ses apparences farfelues, Le Royaume de l’au-delà s’impose comme un petit traité métaphysique ou un étrange petit roman gothique.
Le Royaume de l’au-delà de Thomas A. Edison (Jérôme Millon), 192 pages, 18 €
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