Dans son nouvel essai, Alain Finkielkraut savate à tout-va : immigrés, sociologues, bobos, élites, tous coupables selon lui des crispations d’une époque qui lui échappe.
Le sujet
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Outre qu’elle illustre sa coutumière colère contre son époque, L’Identité malheureuse d’Alain Finkielkraut fait écho à la fameuse “crise du vivre ensemble”. Nostalgique d’une république “indifférente aux destins et aux cultures minoritaires”, le philosophe voit dans le rapport perdu à l’histoire nationale la cause de la (sa) crispation actuelle.
Fâché avec le supposé refus des Français de partager une mémoire commune, l’auteur de La Défaite de la pensée (1987) dénonce la concurrence de mémoires particulières. “On voudrait aujourd’hui effacer la proposition identitaire”, regrette-t-il, se raccrochant à l’œuvre de Lévi-Strauss pour qui notre identité nationale devait “être maintenue fermement et transmise sans honte”. Car si rien ne se perpétue, aucun commencement n’est possible. Soit.
Le souci
Si Finkielkraut, convoquant de grands auteurs comme Claude Lévi-Strauss, Simone Weil ou Thomas Hobbes, a raison de saluer les vertus de notre héritage historique, il s’égare dans l’analyse des causes de sa mélancolie revêche en accusant ses sempiternels ennemis : les immigrés, sujets de son aigreur maladive (“plus l’immigration augmente, plus le territoire se fragmente”), les sociologues qui ne pensent qu’aux modes de domination des minorités, les élites “délestées de l’héritage des siècles”, les bobos écartelés entre goût pour l’altérité et maintien pratique de leurs privilèges.
Tous ces accusés ne crachent pourtant jamais sur les tombes de la Nation ; ils invitent à élargir les frontières d’une identité, autant au nom de la raison historique que de la “passion égalitaire”. Là où l’auteur perçoit un goût immodéré pour la “repentance”, il n’existe qu’un désir légitime de reconnaissance d’identités plurielles : des éléments dispersés qui sédimentent une mémoire commune sans sacrifier personne, même pas les nostalgiques de Barrès ou de Montaigne (surtout pas Montaigne).
Le symptôme
Mécontemporain absolu, comme Charles Péguy auquel il a consacré un livre, “indifférent de n’être pas moderne”, comme Roland Barthes, Finkielkraut met au clair ses combats, passé d’un refus de l’air du temps au procès bourru de cibles, à la limite de la diatribe raciste. Figure de la grande famille réactionnaire des vingt dernières années, obsédé par la lutte contre la “diversité” ambiante, la “muflerie”, la culture scolaire, le philosophe n’accepte pas que “les conditions s’approchent, les hiérarchies s’aplatissent, les distinctions s’estompent” : c’est dire combien l’idée qu’il se fait de l’excellence, de la dette à l’égard des morts, de l’enracinement participe en réalité d’un certain climat intellectuel, marqué par la peur de l’étranger, le fantasme d’un paradis hexagonal perdu absorbé par la décadence du temps présent qu’on vomit à défaut d’en saisir la complexité, voire la richesse. “La défaite de la pensée”, disait-il… Oui, la sienne.
Jean-Marie Durand
L’Identité malheureuse (Stock), 228 pages, 19,50 €
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