A l’heure où Kim Dotcom la plateforme Mega fait débat, les sous-titreurs de séries s’invitent dans la controverse. Le zèle des traducteurs bénévoles qui adaptent en un temps record des épisodes piratés agace les professionnels qui voient leurs cadences s’accélérer, leurs revenus baisser, mais surtout leur réputation s’écorner.
Devant votre télé, vous pleurez. C’est la fin de la deuxième saison de Borgen, et il faudra attendre encore un an avant de retrouver Birgit… Sauf si vous optez pour le piratage. Au début des années 2000, des fans de séries ont décidé de se coller eux-mêmes au sous-titrage de leur feuilleton préféré, sans attendre une traduction officielle qui ne viendra que des mois plus tard. Trop tard. « La longueur de la période entre la sortie américaine et la diffusion en français fait perdre sa valeur au bien culturel », analyse Mathieu Perona, docteur en économie de l’industrie culturelle. Ce vide est comblé par les « fansubbers », des traducteurs autodidactes bien organisés.
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À l’inverse des pros, travailleurs solitaires, les fansubbers adaptent les dialogues en « team ». Les plus rapides, les « fastsubbers », proposent leur traduction moins de 24 heures après la diffusion américaine, approximations de sens et fautes d’orthographe en prime. Les fansubbers classiques, eux, prennent quelques jours de plus « pour livrer un contenu de qualité supérieure au fastsub », reconnaît Rose M. Guillerme, traductrice professionnelle depuis bientôt sept ans. Selon l’Association des traducteurs-adaptateurs de l’audiovisuel (Ataa), traduire un épisode prend entre une semaine et 10 jours.
Enlève ton sous-titre
Car adapter une série en français est un métier, et gare à qui ose le comparer au travail bénévole des « fansubbers ».
« C’est comme si vous me demandiez la différence entre un chef de restaurant et un particulier qui prépare à manger pour ses copains », raille Rose M. Guillerme.
La plupart des professionnels sont diplômés de masters pro spécialisés et suivent une charte très exigeante. « Nous n’avons droit qu’à un nombre limité de caractères, sur deux lignes seulement, alors qu’on trouve chez les fansubbers des sous-titres de trois lignes d’affilée, avec des parenthèses ou des astérisques », observe Anaïs Duchet, présidente de l’Ataa.
« Le sens de la langue est mal maîtrisé par la plupart de ceux qui s’improvisent subbers, alors même qu’ils ont l’impression d’être bilingues », surenchérit Rose M. Guillerme, qui admet pourtant volontiers l’existence de mauvais sous-titreurs pro. Anne Crémieux, responsable du master de traduction audiovisuelle de Nanterre, confirme : « Les sous-titreurs professionnels sont très bons sur le plan formel mais ils ne connaissent pas les séries par cœur, contrairement aux fansubbers. »
« Un gamin de 15 ans pourrait le faire »
Les pros ont-ils raison de se sentir en danger ? Loin d’être responsable de tous leurs maux, cette mode pèse sur les cadences. « Alors que nos délais étaient déjà serrés, ils le sont encore plus aujourd’hui », regrette Rose. M Guillerme. Résultat : la qualité s’en ressent. Le fansubbing accentue aussi la crise que traverse la profession. D’après l’Ataa, certains tarifs ont dégringolé de 60 % en quinze ans. « Il n’est pas rare qu’on entende : “Pourquoi je paierais cher un service que certains offrent gratos sur le net ?” », raconte Rose M. Guillerme. Pire, certains clients ferment carrément les vannes : des éditions DVD ou en vidéo à la demande (VOD) disparaissent car le public a déjà visionné les épisodes sur Internet.
Mais la première cause de la déprime des professionnels, c’est leur image, dévalorisée. Anne Crémieux explique : « Les fansubbers donnent l’impression que c’est facile, qu’un gamin de 15 ans pourrait le faire. » Rose M. Guillerme partage ce blues du sous-titreur : « Travailler 50 heures par semaine sans arriver au Smic, ce n’est déjà pas évident. Alors quand on vous explique que votre métier ne vaut rien et que d’autres le font aussi bien que vous gratuitement… Ça devient très dur à encaisser. »
Le Japon contre-attaque
Comment consoler ces blessés du sous-titre ? Les éditeurs japonais, premières victimes du fansubbing – né avec le manga – ont contre-attaqué. « Ils se mettent au ‘simulcast’ (simultaneous broadcast), une offre rapide et légale que proposent les portails Wakanim, Funanim ou Genzai. Les éditeurs envoient les épisodes aux traducteurs avant leur sortie, pour une diffusion simultanée dans plusieurs pays », explique Lucas, ex-fansubber de mangas.
Sur le même modèle, en France, certaines chaînes proposent des épisodes en VOD 24 heures après leur diffusion aux Etats-Unis, comme Orange le fait avec Game of Thrones. Un débouché pour les traducteurs qui reçoivent les épisodes avec un léger temps d’avance. Malgré tout, les délais restent serrés et les clients paranos, à cause des fuites avant diffusion : « Souvent, les traducteurs travaillent sur des vidéos en noir et blanc, floues et hachurées », raconte Anaïs Duchet.
Mais la présidente de l’Ataa garde confiance. Car l’apparition du fansubbing est aussi le signe de l’intérêt croissant du public pour la VOST. Les chaînes de télé l’ont compris, et se convertissent à la version multilingue, la possibilité de regarder le programme en plusieurs langues. De quoi donner aux sous-titreurs un peu d’espoir dans cette série noire.
Elsa Sabado et Yona Helaoua
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