Héritier du mauvais esprit du rock alternatif français et mitrailleur de punchlines improbables, Seth Gueko se bat pour un rap populaire, ludique et lubrique.
Seth Gueko, c’est le nom du personnage de George Clooney dans Une nuit en enfer de Roberto Rodriguez. Mais depuis le début des années 2000, c’est surtout le sobriquet d’un des rappeurs les plus attachants d’ici. Découvert avec ses mixtapes dont le nom vous reste planté dans la tête comme un tomahawk (Barillet plein, Patate de forain, Drive by en caravane, Les Fils de Jack Mess), puis sacré avec trois albums qu’on peut déjà placer au panthéon hip-hop (La Chevalière, Michto et le très récent Bad Cowboy), Seth Gueko, c’est des textes qui semblent tout droit sortis du recueil des meilleures vannes du syndicat des vendeurs de maxi-churros du nord-ouest parisien. En tournée en novembre, le gars Gueko, 33 ans, devrait arroser les amateurs de punchlines comme un vietcong caché dans un buisson. Avant, il a choisi de poser son gun quelques instants pour un entretien en profondeur où la langue se délie.
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Tu n’as pas le sentiment d’être anachronique avec ton rap à mi-chemin entre les Bérurier Noir et San Antonio ?
Seth Gueko – Ma musique reste le rap. Mais c’est un rap vachement référencé car j’ai été très influencé par le rock alternatif français : les Wampas, Ludwig Von 88, OTH, Gogol Premier, etc. On me qualifie de rappeur, mais en fait je suis un rockeur qui fait du rap. Et ça, les gens ne le savent pas encore.
Es-tu content de l’accueil qu’a reçu ton dernier album ?
Franchement ouais, le public comprend enfin que c’est du second degré. Comme j’ai un style brut de décoffrage, une voix assez agressive, ce n’était pas gagné.
Ça t’a fait souffrir qu’une partie du public te prenne au premier degré ?
Quand j’ai commencé dans le rap à 19 ans, je traînais à Barbès. Un jour, je rencontre Ahmed Koma de la Scred Connexion et il me dit : « J’adore ce que tu fais et j’ai compris que tout ton univers tourne autour du cinéma et du second degré. » C’était en 2003. Ça m’a donné confiance car je me suis dit que si une pointure comme lui comprenait, d’autres y parviendraient. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être dans la continuité des Garçons Bouchers et des Bérurier Noir. On dit que le punk est mort mais je me sens comme le dernier des punks.
Tu fais partie des tauliers du rap français mais tu n’as toujours pas atteint le disque d’or. Comment l’expliques-tu ?
Je fais un rap dur et original, donc plus longue est la bataille, plus savoureuse est la victoire. Obtenir un disque d’or avec du rap hardcore, c’est un travail de longue haleine ! De prime abord, ma violence artistique peut effrayer, c’est du cinéma pour aveugle, qui s’écoute avec du pop-corn ! Mais je reste populaire en samplant Les Négresses Vertes et en consacrant une musique au barbecue entre potes. Plutôt que de faire un clip avec des Lamborghini et des Kalachnikov, je préfère aborder des thèmes populaires.
C’est une forme d’humilité aussi que de refuser l’ego-trip dans lequel baignent pas mal de rappeurs ?
Comme dirait mon associé en Thaïlande (où il vit – ndlr), avec des miettes, on fait une baguette. J’ai la débrouillardise dans le sang. Je viens d’une famille nombreuse de six frères et soeurs. Mon rap, c’est celui du bricolo du dimanche, de l’ouvrier avec du plâtre plein les mains.
Revendiques-tu un côté politique ?
En brassant les cultures et les langues, mon rap est par définition antilepéniste. Mon public n’est pas forcément celui qui écoute Skyrock. Je rassemble des altermondialistes, des antifas. Bref, des révolutionnaires qui n’ont pas connu la grande révolution.
Tu as développé ta propre novlangue…
J’aime faire rimer des mots africains ou yougoslaves, piocher des trucs dans la langue manouche ou javanaise. Comme Gainsbourg avec Comic Strip, je joue avec les onomatopées comme mon expression « Zdedededex », je tords les mots dans tous les sens, j’en invente, comme « Bistouflex ». Ça me permet de me différencier des autres rappeurs et d’être plus ludique.
Ce n’est pas trop dur de quitter la Thaïlande pour une tournée en France ?
Non, ça me permet d’aller à la rencontre de mon public. En Thaïlande, je tiens un bar, le Bad Cowboy Bar. Des expatriés rencontrés là-bas font désormais partie de mon équipe. Je trouve l’inspiration en voyageant, mon cerveau est toujours en mode avion (rires). Ces deux années passées loin de la France m’ont permis de me renouveler, ça m’a donné un coup de fouet. D’où ce nouvel album. Ma femme est tombée enceinte là-bas, donc j’essaie aussi de gérer ma vie de famille. En ce moment, je visite pas mal de locaux car je projette d’ouvrir un fast-food et un hôtel. Bad Cowboy, c’est davantage que le nom d’un album, je veux que ça devienne une marque repère !
Quel genre de père de famille es-tu ?
Imperturbable.
Dans ton album précédent, Michto, tu avais réussi à faire un featuring avec Booba et un avec La Fouine. C’est toi qu’on aurait dû appeler lors du clash ?
Je ne suis pas très fan de tout ça. J’ai trouvé que ça ne volait pas très haut et que ça prenait trop d’importance. Quand on me parle de clashs, je pense plutôt au groupe de punk britannique. Pour moi, c’est London Calling et Sandinista! !
Comment expliques-tu que peu de rappeurs cherchent à te clasher ?
Je suis tellement à la marge que les rappeurs français n’ont aucun intérêt à me clasher. Surtout que j’ai du recul sur ma propre personne. Quand je balance « J’ai le ventre de Carlos, les jambes de Damien Alamos », ça montre mon sens de l’autodérision. A un moment, les gens se demandaient si j’étais gitan : j’ai anticipé en musique ou en interview en disant que j’étais autant gitan que Brad Pitt dans le film Snatch ! Le mec qui veut me faire chier n’a plus rien à dire. Quand j’ai un différend avec un rappeur, je lui propose un featuring et j’essaie de lui casser le cul musicalement…
As-tu écouté l’album de Kaaris ? Celui de Joke ?
Non, à part les morceaux clippés. Je ne suis pas indifférent à leur musique, elle me parle. Mais en ce qui concerne la relève en général, j’ai du mal à me concentrer dessus, trop de parvenus… J’ai l’impression aussi qu’une bonne partie des médias a volontairement sauté une génération. Des artistes comme Nessbeal, Despo Rutti, Mac Tyer n’ont jamais vraiment eu leur chance et je me retrouve vraiment davantage dans leur musique…
Nicolas Salvadori (son vrai nom – ndlr) ressemble-t-il à Seth Gueko ? Quand on voit tes premiers clips, on a l’impression d’une grosse évolution.
Seth Gueko, c’est la version light de la personne que je suis dans la vie. Dans mes premiers clips, je ressemblais à un lémurien de l’espace. Mais je n’ai pas à rougir car au niveau de l’écriture, c’était déjà pas mal. En dix ans, j’ai changé. J’ai pris de la voix, du bagout, du poids.
Certains de tes clips se rapprochent beaucoup d’un film dans leur conception. Aspires-tu à faire du cinéma ?
J’aimerais bien parce que j’ai la gueule et le bagout pour. Mais tant que je n’aurai pas fait tous les featurings dont j’ai envie, il n’en sera pas question. Je voudrais faire un feat avec Renaud et tourner dans toutes les salles de France. Mais c’est vrai que pas mal de gens du cinéma s’intéressent à moi. Mon personnage les intrigue car je peux faire chier un mec dans son slip juste en le regardant ou le faire exploser de rire avec une grimace en déformant ma bouche…
Tu es réputé pour être un excellent punchliner. D’où ça vient ?
J’aime bien me faire comprendre avec une image, une métaphore, pour que ça percute direct. Pour moi, Desproges ou Coluche étaient d’excellents punchliners. Il faut trouver les mots mais aussi avoir le souffle, la respiration. Il y a d’ailleurs pas mal d’humoristes – Redouanne Harjane, par exemple – qui ont compris l’intérêt comique de mes textes et qui apprécient ma musique.
J’ai l’impression que tu as systématisé ces punchlines dans ton dernier album.
J’en chie comme si je m’étais rentré un dictionnaire dans le cul. J’aime bien être drôle et provoquer l’auditeur. Mais je ne suis pas plus violent qu’un journal de 20 heures ou plus vulgaire qu’une cour de récréation.
Une punchline pour finir ?
J’en ai tellement ! C’est comme si tu me demandais lequel de mes gosses je préfère. Mais j’aime bien « Dis pas que l’argent n’a pas d’odeur à un éboueur » ou « Le husky c’est un chien de traîneau, le chihuahua, un chien de traînée. »
Propos recueillis par David Doucet
album Bad Cowboy (Warner/East West France/Zdedededex)
concerts le 7 novembre à Paris (Bataclan), le 9 à Dunkerque, le 29 à Metz.
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