Hollande avait promis de faire de la jeunesse la priorité de son quinquennat. Ils sont plusieurs à avoir intégré, à moins de trente ans, le cercle restreint des cabinets ministériels. Rencontre avec ces jouvenceaux, discrets mais décidés.
Il est 20 h 20. Et Sandra-Elise Reviriego rappelle enfin. Le ton est jeune et la voix pêchue : “J’ai vraiment eu une journée de ouf.” Deux jours après la formation du gouvernement, elle a reçu un coup de fil de Christiane Taubira. “A 9 h 48 du mat’, j’étais encore couchée”, raconte-elle amusée. Elle se précipite sous une douche et se fait un chignon serré, unique injonction de sa mère appelée en Guadeloupe. Rendez-vous est fixé deux heures plus tard. De présidente des Jeunes Radicaux de gauche, elle passe conseillère parlementaire de la garde des Sceaux. A 30 ans.
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Ils sont une bonne cinquantaine, entre 24 et 34 ans, à avoir rejoint les rangs du gouvernement, petits poulains de ces ministres qui les ont appelés au plus près d’eux. Elevés au rang de conseillers ministériels, certains endossent d’emblée les habits de “chef de cab” ou de conseiller spécial. Un pari hardi que seule une plongée dans le trombinoscope du gouvernement permet de repérer. Savamment encadrés, les nouveaux de la classe obéissent à des règles de prudence de plus en plus strictes. Ils avancent masqués.
Engagés “pour travailler et pas pour communiquer”. Une “consigne monacale” donnée par François Hollande pour rompre avec les “mauvaises habitudes” des conseillers trop bavards de l’ère Sarkozy. C’est un marathon pour les joindre et les convaincre. Après avoir demandé l’autorisation directe à leur ministre, Thomas Chevandier, 28 ans, conseiller de George Pau-Langevin, Laurianne Deniaud, 31 ans, chef de cabinet de François Lamy, Sandra-Elise Reviriego, et Stéphane Sitbon-Gomez, 26 ans, conseiller spécial de Cécile Duflot acceptent le risque de faire parler d’eux.
Militants vs. technos
Ils se définissent avant tout comme des militants. Et se distinguent des “technos”, leurs camarades issus des dernières promotions de l’ENA, Sciences Po ou Polytechnique. Ce sont avant tout des enfants prodiges de la politique, choisis pour leur engagement et leur flair, acquis sur le terrain. Addicts aux débats d’idées et aux congrès d’été, ils écument les réunions, les marchés et les bouches de métro depuis dix ans. Et aujourd’hui comme toutes les petits mains agiles et les cerveaux en surchauffe des cabinets, ils travaillent comme des brutes, préparent les dossiers, proposent des orientations et rédigent les mythiques notes de synthèse.
Entré chez les Verts à 14 ans, Stéphane Sitbon-Gomez est un alien, un apparatchik prématuré. Repéré par la ministre écologiste à 17 ans, il est devenu tour à tour son assistant, son “dir’ cab’” à la Région, puis secrétaire national du parti. Il vient de faire sa huitième rentrée aux côtés de sa “patronne”. Et confie que “le premier mois au ministère, on se sent un imposteur”. S’il est passé par le master Affaires publiques de la rue Saint-Guillaume, il dit s’être forgé une conscience politique “En lisant. Beaucoup. André Gorz”. Comme un mantra, il répète qu’être conseiller “ce n’est pas un métier”. Il s’était juré “de ne pas faire de carrière politique”. Effrayé à l’idée de n’avoir jamais eu le temps d’occuper un “vrai emploi”, il accepte néanmoins la dérive, prêt à tout pour Cécile Duflot. Une concession quasi fraternelle. “C’est un film notre histoire” “T’es totalement coupé des réalités dans un cabinet, faut pas se mentir”, reconnaît Stéphane Sitbon-Gomez.
Sandra-Elise Reviriego concède : “J’aime les gens, ils me manquent.” Nuit et jour à “l’école de la rigueur c’est dur de percevoir clairement ce qu’ils ressentent”. Les missionnaires sont entièrement dévoués à leur ministre, boostés à l’adrénaline, parce qu’ils savent qu’en politique le temps est compté pour “changer certaines réalités”.
Laurianne Deniaud a “toujours envie que ça aille plus vite, plus loin”. C’est une enragée des inégalités, obsédée par des histoires de vie insupportables, découvertes quand elle était monitrice de colonie de vacances. Mi-novembre, elle va quitter le ministère et s’investir pour les municipales, dans sa ville. C’est sa manière de retrouver le bitume. Le début sans doute d’une vraie carrière politique.
Les chérubins de “la génération CPE / 21 avril 2002” ont pris une gifle dès les premiers jours de leur rentrée ministérielle. Ils restent candides et ne masquent pas encore leur sensibilité. Pour Stéphane, “C’est dur moralement, tu dois justifier tes positions, tes actions, toujours. En permanence tu es hanté par deux questions : Est-ce que je suis utile ? Est-ce que je sers à quelque chose ?” Encore davantage radicalisé par l’exercice gouvernemental, et décidé à renverser les “imposantes forces conservatrices”, il est heureux de poursuivre son travail “pour tenir parole, la base de notre boulot”. Et reste ébahi, découvrant chaque jour le scénario du blockbuster.
“C’est un film notre histoire”
Thomas Chevandier a des faux airs de François Hollande. En guise de carré de soie, il arbore un chèche roots par dessus son costard. Il a démarré au MJS à 21 ans. Il a toujours rêvé d’être avocat pénaliste, mais il a rejoint George Pau-Langevin à la fin de son master de droit. Il reconnaît s’être laissé mener par les hasards qui l’ont conduit rue de Grenelle, avec le sentiment de “remplir une mission vitale pour la République”. Son sujet, c’est l’école : “En redressant l’école aujourd’hui, on redressera le pays demain. Ça suffit pour se lever tous les jours.” Hyperactif, celui qui à 28 ans a déjà peur de la routine, semble avoir trouvé un terrain imprévisible : “Rien n’est jamais acquis. Il faut toujours te battre pour soutenir ton ministre dans son action. Toujours.” Pour ne pas perdre pied, Sandra court trois fois par semaine, à 6 h du matin. Chacun a son antidote. Et tous sont portés par une fierté, gigantesque et vertigineuse. Honorés d’avoir été les jeunes élus. Avec le risque que leur jeunesse ne foute le camp, plus vite que prévu.
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