Essor des vins naturels, déclin du bordeaux, foire aux vins, retour du cubi… : quelles sont les nouvelles tendances ?
L’offre en vin étant pléthorique et brumeuse, surtout en ces temps de foires en grandes surfaces, ne pas boire idiot relève de l’exploit. A moins de devenir spécialiste – les cours d’œnologie sont en plein boom –, c’est à l’intuition qu’il faut avancer dans la jungle des tanins. Une mission pas si anodine. En plus d’accélérer la bonne humeur, le vin sédimente les enjeux et batailles de l’époque, comme tous les marqueurs culturels.
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Le débat actuel se situe autant au niveau du plaisir (à reconquérir) que de l’éthique (à réinventer). Alors que la vigne représente 3 % des surfaces agricoles françaises, les vignerons utilisent 20 % des pesticides vendus dans le pays. “Le grand avenir du vin, c’est qu’un jour, tous soient bio” (Ségolène Royal, juin 2015). Si même la ministre de l’Ecologie le dit…
L’essor des vins naturels, pourtant très minoritaires – moins de 5% de la production –, provoque des crispations entre tenants d’une agriculture raisonnée et libérée, souvent des viticulteurs et des consommateurs plutôt jeunes, et les apôtres du vin façonné par intervention chimique, auquel nos palais sont habitués depuis des décennies. Ces derniers détiennent les clefs politiques et commerciales. Leur crispation signifie que le débat est bien réel. La prochaine génération vin aura peut-être une révolution sur les bras.
Le vin orange est-il le nouveau rosé ?
Bien loin des pratiques pas toujours reluisantes de son compère colorimétriquement incorrect, le vin orange est un blanc dont les raisins laissés entiers avec la peau subissent une macération de plusieurs semaines – technique millénaire. Cela lui donne une structure tanique le rapprochant du rouge. Sa polyvalence dans les accords avec la nourriture est surprenante, même s’il est parfait tout nu. Produit notamment en France, en Italie (exceptionnel Domaine Radikon, dans le Frioul) ou en Slovénie, ce synonyme d’originalité gustative est de plus en plus prisé. James Murphy, ex-LCD Soundsystem, en sert dans son bar new-yorkais The Four Horsemen. Pour lui, la messe est dite : orange is the new red, white, rosé.
Peut-on encore boire du bordeaux ?
Plutôt s’offrir des vacances qu’une caisse de six bouteilles de grands crus. La région reste, avec la Bourgogne, la plus chère du monde – parfois plusieurs dizaines d’euros le centilitre. Mais les soucis ne s’arrêtent pas là. Même s’ils squattent les tables françaises et planétaires, les bordeaux à prix moyen sont souvent… moyens et bourrés d’additifs qui en standardisent le goût. Parmi les résistants, le Château Le Puy dépasse les conservatismes et cultive ses raisins en biodynamie. Mais l’avant-garde comme le vrai classicisme du vin ne sont plus à Bordeaux.
Le vin a-t-il un genre ?
De plus en plus de viticulteurs sont des viticultrices. De plus en plus de sommeliers sont des sommelières. De plus en plus de buveurs sont des buveuses. Le vin peut donc revendiquer une expression féministe et transgenre. Surtout que le cliché d’une boisson d’homme a depuis longtemps perdu en substance, comme d’autres bêtises. Certains mecs préfèrent les nectars légers et virevoltants assimilés girly, tandis qu’au restaurant il est fréquent que des femmes demandent “des rouges taniques, avec du corps, de la puissance”, comme l’explique Solenne Jouan du 6 Paul Bert. Seul le goût neutre reste à éviter.
Les foires aux vins des supermarchés sont-elles maléfiques ?
“Je ne peux pas recommander aux gens d’aller chercher du vin au supermarché, même s’il y a forcément des choses buvables, y compris dans les foires”, estime une œnologue. Nerf de la guerre pour les industriels, les foires des grandes surfaces – inventées par Leclerc dans les seventies – proposent souvent des vins au large stock et excluent quasiment de facto les producteurs naturels et/ou bio – à l’exception de Lavinia, sur internet. Pour une trouvaille au bon rapport qualité-prix (bordeaux supérieur Domaine Reignac à 15,50 euros chez Leclerc cette rentrée), combien de déceptions ?
Qu’avaler lors d’un premier rendez-vous ?
Vin + sexe + amour ? Les ponts entre les trois sont fréquentés depuis (au moins) les partouzes – pardon, les bacchanales – de l’antiquité . A éviter, les blancs trop puissants qui appuient direct sur les paupières et figent les jambes. A picorer avant toute grande décision,le très marrant petit ouvrage d’Ophélie Neiman (Miss Glouglou) et Guillaume Long, Boissons et séduction (Delcourt/Tapas, 15,50 euros), avec des conseils bien roulés ainsi qu’une “liste des bouteilles à avoir chez soi pour choper utile”.
Faut-il revoir un(e) ami(e) qui met des glaçons dans son vin ?
Sauf cas exceptionnel – une piquette allongée à l’eau ne sera pas pire que l’original –, le fait de rafraîchir son vin avec des cubes de glace est à ranger du côté des interdits briseurs d’amitiés, voire de couples. Même si la tendance progresse nettement (1,5 million de bouteilles du “rosé piscine” de Vinovalie auraient été vendues l’an dernier), le tribunal du sexy dit non à cette pratique estivalo-barbare qui casse les arômes et n’évite pas le mal de tête.
Que boire les lendemains de cuite ?
Soyons francs : la technique consistant à réingurgiter l’alcool bu la veille en petite quantité pour “réhabituer son estomac” ne fonctionne pas. Donc, thé et eau, dans n’importe quel sens. Si vous êtes obligés ou masochistes, privilégiez un vin en-dessous de 10 degrés – on en trouve, comme l’excellent Primitif du domaine Giachino en Savoie –, voire un cidre peu sucré. Mais ne faites pas l’intéressant(e) avec un côtes-du-luberon qui a pris le soleil toute l’année.
Faut-il croire au retour du cubi ?
Attention, on n’appelle plus cet éternel ami des vacances cubi mais “bib” (de “bag in box”). Plus d’un tiers des vins vendus en grandes surfaces le sont sous cette forme (c’était 2 % il y a quinze ans) et la branchitude affleure : Bibovino, une chaîne spécialisée visant une clientèle de connaisseurs, cartonne depuis 2013. Moralité, rien ne sert d’être snob, car quelques pépites se dénichent à prix d’ami. Sur internet ou au restaurant La Pointe du Grouin, à Paris, un languedoc en macération carbonique du Domaine de Gabelas coûte environ 20 euros les cinq litres.
Qu’est-ce qu’une verticale ?
Ce petit jeu en vogue chez acheteurs et sommeliers consiste à goûter les uns après les autres (tout en prenant des notes, restons sérieux) le maximum de millésimes d’un cru identique. Laura Vidal, du Paris Popup, se souvient avoir testé vingt-cinq années consécutives des vins du Château Musar (Liban), du plus jeune au plus vieux : “C’était incroyable de voir un même terroir évoluer sur le temps et d’observer les changements dans la vision du vinificateur.” L’histoire ne dit pas si la petite assemblée a terminé la journée debout.
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