Dans “Ping Pong”, leur magazine quotidien sur France Culture, Mathilde Serrell et Martin Quenehen confrontent deux invités et explorent l’actualité culturelle sous toutes ses coutures, avec énergie, éclectisme et érudition.
“Ce n’est pas encore La croisière s’amuse mais on a déjà trouvé un ton.” Quelques jours après la mise à flot de la nouvelle émission quotidienne de France Culture Ping Pong, Martin Quenehen affiche la sérénité d’un baroudeur des mers radiophoniques.
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A la barre depuis le 31 août, avec Mathilde Serrell, de l’une des seules nouveautés de la station en cette rentrée, l’animateur de La Grande Table d’été se prépare déjà à suivre son rythme de croisière, forcément animé : tout est déjà en place, la promesse du rendez-vous culturel comme le dispositif de la conversation. Il ne reste plus qu’à accomplir la période de rodage, ajuster avec plus de précision encore la répartition des rôles et la chaleur des voix volontairement disséminées au cours de l’heure d’émission.
Deux voix pour animer, donc, mais aussi deux voix pour nourrir la discussion : la règle de Ping Pong consiste à organiser un échange entre deux invités engagés l’un et l’autre dans l’actualité culturelle, mais que rien, à la surface de leurs œuvres, ne rassemble.
Goût des rencontres et refus des frontières
Un gouffre de préoccupations sépare l’écrivain Bernard Chambaz et le commentateur de basket George Eddy, la chanteuse de jazz Cécile McLorin Salvant et le réalisateur punk Benoît Delépine, le romancier américain Ryan Gattis et le photoreporter Tomas Van Houtryve, l’écrivain Gérard Lefort et le cinéaste Jaco Van Dormael… Sauf qu’à chaque fois ces face-à-face ont révélé des horizons communs et des partages insoupçonnés. C’est ce qui fonde le principe même d’une conversation éclairée : la possibilité de nourrir sa propre curiosité de celle des autres.
Le goût des rencontres autant que le refus des frontières fixes au cœur du paysage culturel sont aux fondements de Ping Pong, qui affirme, comme un slogan identitaire, vouloir explorer “la culture sans limites”. “La culture est partout, y compris où on ne l’attend pas !”, disent ses animateurs. “On tient vraiment à faire se télescoper la culture de masse et la culture savante”, précise Martin Quenehen, 37 ans, à peine l’aîné de sa partenaire, Mathilde Serrell, 35 ans.
Rap, basket, porno, littérature… : tout s’imbrique, se répond, sans critère hiérarchique, sans mépris de classe artistique. Ce mélange des genres existait déjà dans Le Rendez-vous, qu’animait à la même heure Laurent Goumarre, parti sur France Inter. Martin et Mathilde assument cet héritage, même s’ils entendent le radicaliser, c’est-à-dire l’ouvrir davantage à des espaces artistiques plébiscités par les jeunes publics. France Culture, aussi, pense aux jeunes auditeurs qui l’ignorent…
Culture savante et classique ou pop et activiste
S’ils appartiennent à la même génération, s’ils partagent la même envie de suivre l’actualité culturelle sur tous les chemins possibles, s’ils ont commencé la radio assez jeunes, les M/M de France Culture maîtrisent chacun des territoires spécifiques : la culture savante et classique pour Martin, ancien prof d’histoire (dont il restitue l’expérience dans un livre en 2011, Jours tranquilles d’un prof de banlieue), la culture pop et activiste pour Mathilde, longtemps voix de Radio Nova. Arrivé sur France Culture en 2006, Martin Quenehen en a adopté le double ethos : le son à travers des documentaires (Sur la route) et l’animation à travers des grands entretiens (Une vie, une œuvre ; Grantanfi ; La Grande Table d’été…).
Hanté par les voix de la maison – Alain Veinstein, Marc Voinchet ou Antoine Spire (“son A voix nue avec George Steiner était génial”) –, il dit aussi avoir été marqué par Mark, animateur de Bombattak, sur la radio Générations. Mathilde, elle, reste marquée du sceau de Radio Nova, mais aussi par ses récentes expériences à Canal+ (rédactrice en chef du Before, chroniqueuse au Grand Journal).
Ses souvenirs de radio restent fixés sur les grandes heures de Nova, notamment “le feuilleton Underground par Marc-Alexandre Millanvoye”, inspiré du livre de Jean-François Bizot. “Les zazous, Steve Reich, Arthur Cravan…, c’est tout ce que j’ai aimé.” Aujourd’hui, elle aime “autant Huysmans que Miley Cyrus”.
“Bien varier les rythmes”
Mais l’écart entre “l’énergie” de l’une et l’image d’“intello ébouriffé” de l’autre semble un peu trop grand pour être complètement opérant. Leur séparation disciplinaire et leur opposition de caractère ne résistent pas à l’orchestration de leur union sacrée. Leur complémentarité produit un effet de concorde : la marge et le centre, la joie et le sérieux, la tonicité et la réflexion, l’érudition et le buzz, l’innocence et la maturité se confondent dans un seul geste sonore. En une heure, chacun s’agite avec ses outils et ses ressources en vue de produire un même élan : l’envie de faire émerger une conversation nourrie des expériences de chacun des invités.
Le ping-pong, c’est le renvoi que chaque invité fait de la balle qu’il reçoit. Comme sur une vraie table verte, les balles s’échangent, parfois très vite, prises dans un rythme alerte et vif, parfois plus lentement. “On cherche effectivement à bien varier les rythmes”, confesse Martin. “C’est vrai qu’une émission aussi séquencée, qui cherche à être dynamique, c’est un peu inédit sur France Culture”, reconnaît Mathilde.
“En fait, le sens de l’écoute associé à un rythme plus vif, c’est vraiment le gai savoir de 2015”, estime Martin. Réalisée par Thomas Beau, rythmée aussi par le pertinent journal de la culture de Zoé Sfez, l’émission s’impose déjà comme l’un des plus stimulants terrains de jeu de la saison.
Ping Pong du lundi au vendredi, 19 h 03, France Culture
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