On y parvient en empruntant la pente douce qui mène de la gare à la mer. En longeant la rue de la République, se fait d’abord entendre une mélopée opiacée. Plaintive et langoureuse, la musique provient des profondeurs d’une ancienne boutique de prêt-à-porter. A l’intérieur, plus de trace de portants, cabines ou caisses. Contre les murs […]
Entre la reconversion d’un quartier en pôle artistique et la foire Art-O-Rama, Marseille s’impose toujours plus comme l’autre scène des arts française.
On y parvient en empruntant la pente douce qui mène de la gare à la mer. En longeant la rue de la République, se fait d’abord entendre une mélopée opiacée. Plaintive et langoureuse, la musique provient des profondeurs d’une ancienne boutique de prêt-à-porter.
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A l’intérieur, plus de trace de portants, cabines ou caisses. Contre les murs reposent désormais des plaques de bois, gravées de fragments de texte ou de silhouettes anthropomorphes. L’une d’elles plonge la tête la première dans la mer, tel un Modulor ayant décidé de s’échapper de son cadastre géométrique.
Une expo immersive, à la fois contextuelle et déterritorialisée
Dans le reste de l’espace, rien ne tient plus droit non plus. Ici et là, des assemblages suspendus tournoient gracieusement sur eux-mêmes : des bouts de tissus, du corail, une capote, des perles, une bouteille, des câbles électriques tenant ensemble on ne sait trop comment. Et toujours, en fond, le loop sonore qui d’emblée pose l’ambiance, elle aussi dépitchée, tamisée, somnolente.
Nous sommes à Marseille, au numéro 42 de cette rue de la République où vient d’être inauguré l’espace temporaire Laure de Clerci. A l’invitation du curateur Cédric Aurelle, le jeune artiste Julien Creuzet y a conçu une expo immersive, à la fois contextuelle et déterritorialisée.
Rien n’est immuable, tout se recompose au gré de la boucle musicale où la voix de l’artiste égrène le titre de chacune des pièces, conçu comme une poésie autonome – et l’on pourrait en dire autant du nom de l’expo : Eau de Phocéa, datant d’alga.
L’effervescence gagne la cité phocéenne à la fin août
Chaque année, l’effervescence gagne la cité phocéenne à la fin août à mesure que convergent vers elle galeristes, artistes et autres férus d’art, attirés par ce qui s’est imposé comme le rituel de la rentrée artistique : la foire Art-O-Rama. Cette année cependant, avant de s’y plonger, il fallait d’abord ralentir la cadence, boire à la coupe de cette “eau de Phocéa” et dériver encore un peu.
A deux pas de là, entre le Panier et le Vieux Port, on tombe sur la rue du Chevalier-Roze. Comme dans le reste du quartier, les façades sont opulentes mais les trottoirs déserts. D’où la décision de la foncière ANF Immobilier de reconvertir la rue en un nouveau pôle artistique, inauguré durant la semaine de la foire – l’espace Laure de Clerci en est l’un des projets associés. Au total, sept lieux d’art contemporain ont pu s’installer dans les locaux d’anciens magasins délaissés, bénéficiant d’un bail gratuit de trois ans.
Ne pas ghettoïser la zone
L’idée, explique Ombline d’Avezac Lacroix, transfuge de la Fiac en charge de l’opération et désormais installée dans la cité phocéenne, était à la fois de s’inspirer du dynamisme des jeunes marchands d’art de Belleville à Paris, tout en veillant à ne pas ghettoïser la zone.
Résultat, un savant mélange de galeries – dont la célèbre galerie parisienne Crèvecœur qui y ouvre son antenne marseillaise – mais aussi l’imprimerie d’art Tchikebe, des espaces d’exposition pour des structures locales (les curatrices Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani, et le groupe de collectionneurs Lumière) ou encore un atelier d’artiste, occupé par Wilfrid Almendra.
Expérimental, entre local et international, le mix qu’on y retrouve ressemble beaucoup à la “patte” Art-O-Rama qui fêtait cette année ses onze années d’existence. Toujours installée à la Cartonnerie de la Friche la Belle de Mai, y voisinaient les galeries françaises, berlinoises, lisboètes, polonaises ou roumaines aux côtés de project-space et d’artistes invités.
Des ambitions plus marchandes
Si la dimension curatoriale reste bien présente, on ne pouvait s’empêcher de relever cette année des ambitions plus marchandes : une volonté de “faire foire” et de s’imposer dans un circuit international qui ne manque certainement pas de concurrents.
A propos de Marseille, second vivier artistique du pays, il a souvent été souligné le manque de relais institutionnel et marchand. Une foire en plein essor et une rue de galeries pourraient bien constituer l’indice d’une autonomisation en devenir. Il faut dire qu’à l’approche de la biennale Manifesta 2020, reconduisant pour certains l’impérialisme culturel ressenti lors de Marseille-Provence 2013, la fébrilité commençait à se faire sentir.
Fébrilité qui semble s’être transformée en hyperactivité salutaire alors que les institutions (la Tour-Panorama de la Friche la Belle de Mai, le Frac et le MAC) faisaient elles aussi leur rentrée. En résonance avec le reste de la côte, bouillonne déjà, de l’intérieur, une énergie qui a tout pour se solidifier en scène. Scène qui, comme les assemblages de Julien Creuzet, parle de l’hybridation des sources, de la construction identitaire fluide loin des cadastres, et de la vie dépitchée. Ingrid Luquet-Gad
Eau de Phocéa, datant d’alga Jusqu’au 16 septembre, Espace Laure de Clerci, 42, rue de la République, Marseille
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