Dans la nouvelle gothique “La Chute de la Maison Usher” d’Edgar Allan Poe, un protagoniste lit un livre à l’un de ses amis au moment même où la sœur de ce dernier, morte-vivante, revient pour l’emmener. Ce texte, l’histoire d’un homme qui entre dans une maison et doit en vaincre le dragon, éclaire en miroir […]
Simon Liberati explore sa psyché à travers celle des autres, menant le lecteur aux sources de ses inspirations. Un récit et un recueil de ses articles illustrent ce magnifique geste de captation de l’invisible.
Dans la nouvelle gothique “La Chute de la Maison Usher” d’Edgar Allan Poe, un protagoniste lit un livre à l’un de ses amis au moment même où la sœur de ce dernier, morte-vivante, revient pour l’emmener. Ce texte, l’histoire d’un homme qui entre dans une maison et doit en vaincre le dragon, éclaire en miroir l’action énigmatique qui se produit sous les yeux du narrateur.
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Il en va de même chez Simon Liberati. Depuis 113 études de littérature romantique (2013), les livres, les auteurs, les rencontres sur lesquels il écrit sont moins le sujet de ses textes qu’une incrustation scintillante au sein de sa prose, et qui la réverbère. Un miroir ensorcelé qui renverrait une autre image, celui du chemin tourmenté d’une vie sur lequel il se promène – la sienne, mais aussi celle du lecteur, car Liberati est assez généreux pour nous laisser de la place.
La renaissance par l’écriture
Depuis Jayne Mansfield 1967 (2011), ses livres, qui n’auraient pu être que les extensions arides de l’univers clos d’un obsessionnel, touchent aux questions humaines les plus amples et essentielles : le mal et les sortilèges du destin avec Jayne… ; les signes et les coïncidences de la vie qui la changent en existence puis en esthétique et enfin en livre avec 113… ; le grand amour avec Eva (2015). Et toujours, l’écriture, comme possibilité de renaissance.
Les Rameaux noirs en est l’apogée : un récit, plus qu’un essai, sur l’inspiration poétique et romanesque, où ses lectures de chevet – Léautaud, Proust, Baudelaire, Maurras, Wilde, et bien d’autres – réverbèrent encore une fois un parcours, toutes les étapes qui ont mené Liberati à écrire, des amours passées à la drogue et l’alcool à haute dose, des emplois stables à la vie recluse à la campagne, du vide au plein nommé Eva.
“Lire, c’est aussi se contempler. Quand je lis trop, Eva me reproche de me regarder dans un miroir”
“Voilà tout ce que cinq lignes d’un livre acheté une fin d’après-midi d’automne peuvent faire défiler. Lire, c’est aussi se contempler. Quand je lis trop, Eva me reproche de me regarder dans un miroir.” Le geste magnifique de Liberati est d’écrire de cette façon, en lecteur à la recherche de sa psyché à travers celle des autres. Notamment celle de son père, André Liberati, poète proche des surréalistes et d’Aragon (celui-ci était le parrain – peu présent – de l’auteur), autre miroir dans lequel se refléter et auquel Les Rameaux noirs rend un très bel hommage.
Mais au-delà du geste d’amour filial, l’écrivain nous invite dans son autre famille, une famille d’élection hétéroclite, une société secrète d’auteurs et de livres qui communiquent à travers le temps tout en l’annihilant. Les Rameaux noirs, c’est une promenade dans la bibliothèque de Liberati comme dans un cabinet de curiosités au romantisme noir, sauf que ce cabinet de curiosités, c’est sa vie, ses goûts et ses dégoûts, lecture, écriture et vie ne faisant plus qu’un dans l’inspiration, car celle-ci nous restitue notre unité, notre singularité et nous rend unique et hors norme, nous fait accepter de l’être. “L’inspiration, c’est aussi l’enthousiasme de la révolte. Se retourner en soi-même contre le monde. Dans ma vie, il y a eu l’amour, le suicide, la drogue et l’écriture. Tout le reste fut du remplissage. Pas d’enfant, pas de famille. La merveille, c’est qu’il devient de plus en plus difficile de penser ainsi, l’air se raréfie.”
Liberati détective privé
Les Violettes de l’avenue Foch, recueil de ses articles, paru en même temps, se lit heureusement comme un roman – ou comme des éclats de roman, dans le plus pur style de l’auteur. Parce que si l’on y croise Carla Bruni ou Claudia Schiffer, Jean-Jacques Schuhl et Liberace, et toujours Eva, Simon Liberati traite de ses sujets “journalistiques” de la même manière que ses sujets littéraires – c’est encore son miroir ensorcelé qu’il promène et applique à chacun dès qu’il va s’agir d’écrire. Dans l’introduction, il dit de lui-même : “Je joue à celui que je rêvais d’être enfant, un détective privé.”
La force du détective Liberati, c’est d’enquêter, au fond, sur nous tous à travers les autres, à travers lui, pour mieux parvenir à nous dévoiler, de page en page, les traces et les indices inavoués de nos personnalités invisibles parce qu’intimes, celles que nous ne déployons que dans le secret de la lecture et de l’amour.
Les Rameaux noirs (Stock), 288 p., 19,50 €
Les Violettes de l’avenue Foch (Stock), 304 p., 20 €
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