Le cinéma français se mobilise en faveur des sans-papiers. Réunis dans un collectif, ils appellent à la régularisation des 6 000 grévistes d’Ile de- France. L’image pour le droit, un combat que poursuivent les cinéastes depuis 1997.
Un film court, On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici !, dans les salles dès le 10 mars en France ; un manifeste pour la régularisation de tous les travailleurs sans papiers, signé par plus de 300 personnalités du cinéma : le “cinéma d’intervention” retrouve là un sens qu’il avait un peu perdu.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A l’origine de cet élan, le constat d’une grève entamée il y a plus de quatre mois, dans le relatif silence des médias, par plus de 6 000 travailleurs sans papiers dans toute l’Ile de- France, souvent employés par de grandes sociétés françaises ou internationales.
Deux cent cinquante d’entre eux, salariés du bâtiment, occupent jour et nuit les locaux d’une caisse paritaire, 8, rue du Regard dans le VIe arrondissement de Paris, malgré la menace d’un arrêté d’expulsion signé au début du mois. Tous exigent une circulaire de régularisation avec des critères simplifiés (le fameux formulaire “cerfa”, sorte de contrat d’embauche simplifié, leur Graal à eux, qui leur permettrait d’obtenir leur carte de séjour).
Dans un premier temps, le Collectif des cinéastes pour les sans-papiers (dont Laurent Cantet, à l’avant-garde de la lutte) a signé début février un appel général, “Nous les prenons sous notre protection”, afin de soutenir les travailleurs menacés d’expulsion.
Scandalisé par la situation injuste qu’ils subissent (ils travaillent, paient des impôts, mais n’ont pas de droits), le collectif a étendu son intervention en allant, par petites équipes de tournage, les écouter, les interroger en les filmant sur les lieux éparpillés de leurs luttes. Un cahier des charges établi à l’avance devait garantir l’unité formelle du film.
Cela a donné dix heures de rushes, des centaines de visages et de paroles devant leurs piquets de grève. Des sociétés de l’industrie technique du cinéma se sont aussi mobilisées. Il en est sorti un film de trois minutes (voir la vidéo) : une succession de situations bloquées, incarnées par des grévistes devant l’enseigne de leur entreprise. De l’industrie aux services, tous les secteurs de l’économie sont concernés.
Le collectif a présenté le film à la Cinémathèque française le lundi 22 février lors d’une conférence de presse. Un manifeste l’accompagne, qui appelle à la régularisation pure, simple et immédiate de tous les travailleurs sans papiers. Près de 300 réalisateurs l’ont déjà signé, autant dire la quasi-majorité d’une profession (d’une famille ?) dont l’unité, souvent de façade, n’a jamais été aussi cohérente qu’à travers ce combat-là, à la périphérie de son domaine naturel d’intervention.
Dans l’arène politique, où les cinéastes s’affrontent parfois entre eux, le scandale de l’exploitation des sans-papiers provoque une sorte de sursaut moral. Voilà plus de dix ans qu’ils se mobilisent par à-coups sur la question : erratique, leur intervention n’en reste pas moins continue, habitée par le sens de la révolte et l’envie d’en découdre avec le pouvoir face auquel les associations et réseaux militants (Cimade…) demeurent fragiles. Dans leur rapport de force inégal avec l’Etat, les associations ont trouvé dans le geste des cinéastes un allié dont le poids tient autant à la force évocatrice des images qu’à la notoriété de ceux qui les produisent.
Aux côtés de réseaux militants, comme Réseau Education sans frontières, les cinéastes français prolongent une lutte amorcée en 1997 avec un premier appel, “Nous, sans-papiers de France”, lancé par Arnaud Desplechin, Pascale Ferran, Claire Denis, Romain Goupil, Karim Dridi, Bertrand Tavernier, Gérard Mordillat, Pascal Bonitzer, Cédric Klapisch…
Pour la première fois, surgissait avec éclat le problème du sort réservé aux sans-papiers. Après des années de flottement au début des années 2000, un nouveau collectif de cinéastes avait réalisé en 2007 le film Laissez les grandir ici ! (voir la vidéo), centré sur la question des enfants de sans-papiers.
A quelques jours des élections régionales (et de la cérémonie des César ?), le nouveau film On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici ! vise à déstabiliser le pouvoir politique qui reste sourd et aveugle depuis des années au problème, en choisissant un point de fixation imparable : la question du travail. Comment le patronat peut-il s’accommoder d’une main-d’oeuvre indispensable sans accepter en retour d’intégrer officiellement ces travailleurs à la société qui profite d’eux ?
Le film, puis tous les portraits complémentaires de travailleurs diffusés en ligne, cible les entreprises : leur image de marque pourrait en prendre un coup. Le pari de cette mobilisation tient dans ce défi : profiter de la force des images pour ramener les “exploiteurs” (Etat, patrons) à la raison sous toutes ses formes possibles – politique (le droit), économique (le profit), morale (l’égalité). Les sans papiers seront-ils enfin sauvés ?
Jean-Marie Durand et Jean-Baptiste Morain
{"type":"Banniere-Basse"}