Cœur De Pirate sort « Trauma », album de reprises anglo-saxonnes trop polies. Où la tatouée se fait sainte-nitouche.
1. Le sujet
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D’habitude, l’album de reprises reste le symptôme des grosses pannes, le Viagra de l’inspiration demi-molle. Ou la carte de visite bâclée et hypocrite d’un(e) jeune premier(e) récemment décapsulé(e) par une émission de téléréalité, avant oubli et dur retour à la vie active – l’agriculture française a pourtant besoin de bras. Même David Bowie au sommet de la fulgurance et de l’excellence dans les années 70 avait sorti avec Pin Ups un album de reprises dans leurs petits souliers, leur tournant autour alors qu’il avait la férocité sexuelle de les réduire à sa botte à talon compensé. L’exercice de la reprise nécessite un mélange d’intimité avec l’œuvre et de distance avec le créateur. Une fois viré le proprio, il faut squatter son intérieur, saloper les murs, ouvrir des fenêtres. Entre les irrévérencieux forcenés, qui pensent que la pignouferie gratos fait figure de rébellion et les premiers de la classe, qui fayotent en copiant la chanson jusqu’aux instruments originaux, les albums de reprises apportent rarement quoi que ce soit – si ce n’est une furieuse envie de claquer le bec à ces jeunes présomptueux et/ou gendres idéaux pour retrouver la magie des originaux.
2. Le symptôme
C’est pour une série télé nord-américaine – ce qui n’excuse pas tout – que Cœur De Pirate a enregistré cet album intermédiaire, Trauma. Mais trauma il n’y a pas : tatouée et délurée, Béatrice Martin enfile des chaussettes blanches, des souliers vernis, se fait des couettes et prend le cierge, pour religieusement enregistrer des reprises castrées du soufre, de l’urgence et de la déraison de leur souffle initial – Libertines, Amy Winehouse ou Lee Hazlewood. Pour faire sienne une reprise, il faut une voix autoritaire, une vision habitée de la musique, une personnalité écrasante et un désir viscéral de faire l’Anschluss. Sinon, c’est le dîner de cons : la chanson se moque de vous et de vos minauderies, de votre politesse empesée, de votre timidité, de votre godicherie.
3. Le souci
Malgré tout le bien qu’on peut penser de Cœur De Pirate, Béatrice Martin ne possède ni la voix, ni la musicalité, ni la fièvre pour se frotter à ceux qu’elle a choisi d’empailler plutôt que de domestiquer. Son univers, réduit, et sa voix, étroite, font merveille parfois dans ses chansons, taillées sur mesure pour ses limites. Le rock, la pop, c’est ça : ce n’est pas du bel canto, on se débat avec le peu qu’on sait pour atteindre une grandeur, sublimer ses faiblesses. Mais là, franchement, quelle idée dingue, quand on porte au quotidien du XS, de vouloir à tout prix s’endimancher en XL, de jouer à la maman, de traverser en touriste, sans jamais y laisser sa marque, des territoires écrasants pour les réduire à de simples et futiles tampons sur un passeport – Rolling Stones, Bon Iver ou Al Green. Elle s’appelle Cœur De Pirate, mais pour ce projet, elle aurait dû se faire cœur de parasite.
JD Beauvallet
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