Une exposition à Amiens rend hommage à Alexandre Chem, illustrateur, maquettiste, peintre, et père du célèbre architecte Paul Chemetov.
Dans la famille Chemetov, je demande le grand-père. De cette prestigieuse lignée d’artistes, on connaît le père, Paul, qui a construit ce paquebot sur la Seine qui affronte les tempêtes monétaires, et le fils Alexandre, lui aussi prestigieux architecte et urbaniste. Le grand-père, né Alexandre Pavlovitch Chemetoff, qui prit le pseudonyme de Chem, n’a jamais atteint la notoriété de ses rejetons et c’est cet injuste oubli que veulent réparer les élèves de l’Esad (Ecole supérieure d’art et de design) d’Amiens avec une exposition qui rend toute sa valeur à cet artiste hors norme.
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Chem fut en effet un touche-à-tout inlassable, à la fois illustrateur, graphiste, typographe, designer de livres d’art et peintre. Cette abondance de talents est sans doute à rechercher dans les méandres d’une vie aventureuse qui épouse les drames du XXe siècle.
Alexandre Chemetov est né en Russie en 1898, à Rostov-sur-le-Don. Il étudie la chimie à Saint-Pétersbourg, mobilisé en 1917, il est pris dans la tourmente de la révolution bolchévique, il est embarqué dans la guerre civile, et avec les débris de l’armée blanche quitte Sébastopol et arrive en Tunisie, où pour survivre il met à profit ses dons artistiques pour le dessin. Arrivé à Paris, il connaît une période difficile, qui l’obligera à travailler dans tous les domaines, de la publicité à la caricature dans la presse des exilés russes, en passant par les illustrations pour les albums du Père Castor. Pendant la guerre, refusant de pactiser avec l’occupant, il s’installe à Châteauroux. Il participera à la Résistance, mettant sa virtuosité graphique à fabriquer de faux papiers.
A la Libération, de retour à Paris, il est maquettiste, créateur de magnifiques livres et travaille pour des décors de cinéma. Sans doute par nostalgie de la Russie, il se rapproche des artistes communistes, travaille à une exposition sur Maïakovski montée par Elsa Triolet. Installé en Ardèche à la fin de sa vie, il peut enfin se consacrer à la peinture et à une série de collages surréalistes, qui, selon son fils,“dépassent en qualité, en précision, en invention, en humour ceux de Max Ernst”. Il meurt en 1981.
Les élèves de l’Esad d’Amiens, passionnés de graphisme, ont voulu rendre hommage à cet artiste qui, bien avant la puissance de l’ordinateur, sut se frotter, simplement armé de plumes et de colle, de crayons et d’un typomètre, à tous les domaines de la création, créant de la la beauté sous toutes ses formes, des plus prestigieuses aux plus modestes. Le témoignage aussi d’une époque où l’artiste était aussi un artisan, possesseur d’une technique et d’un métier accomplis. Cette curiosité et cette virtuosité évoquent, comme le rappelle Paul Chemetov, “l’idéal polytechnique et protéiforme des artistes de la Renaissance”.
Olivier Mialet
Signé Chem, du mardi 14 janvier au mercredi 5 février 2014, une exposition conçue et réalisée par les étudiants de 3e année de l’Esad, avec José Albergaria, Rik Bas Backer (Change is good) et la participation d’Agnès Chemetoff.
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