Dans les trous d’Amérique profonde, on n’en finit pas de toucher le fond. Dans la dégringolade, les instruments et les âmes se sont pris de sacrés bleus, mais cette country hagarde (on n’a pas parlé de Merle Haggard) reste en vie. Chez Drunk, comme le nom du groupe l’indique, la country soigne sa chute à […]
Dans les trous d’Amérique profonde, on n’en finit pas de toucher le fond. Dans la dégringolade, les instruments et les âmes se sont pris de sacrés bleus, mais cette country hagarde (on n’a pas parlé de Merle Haggard) reste en vie. Chez Drunk, comme le nom du groupe l’indique, la country soigne sa chute à l’alcool brutal, celui qui rend dingue, qui fait rouler les vagues à l’âme. Raised toward, comme le précédent et magnifique A Derby spiritual, a donc l’alcool triste. Mais l’alcool fin : dans les montagnes brumeuses de Virginie, ce décor où les hobos jouent du banjo sur les ponts de fil, Drunk se sert à la même distillerie que Sparklehorse. Même le moral en guenilles, ces chansons n’oublient pas de sortir les habits du dimanche pour honorer cette fervente veillée. Un violon, un orgue grave et des guitares de toutes confessions se pressent autour de Rick Alverston. Une voix fragile et proche qui pénètre dans le One of us cannot be wrong de Leonard Cohen comme elle irait à la chapelle, avec un mélange de ferveur et de révérence, le Stetson à la main. Une déférence pour le Vieux Monde jamais cul-bénit, car Drunk pense mal, parle mal, vomit sa bile.
A côté d’une gnôle aussi tord-boyaux ainsi se distillent les larmes , le whisky réglementaire de Songs: Ohia paraîtrait presque fade, un comble pour ce groupe qui a pourtant piqué sa recette et sa voix étranglée dans l’alambic même de Will Oldham. Epaulé de la glaciale Edith Frost et d’une partie de son groupe admirable, Jason Molina continue de chanter une vie aussi luxuriante et escarpée qu’une prairie brûlée. Mais, nouveauté dans cette désolation déjà répertoriée, il y a une femme dans la prairie. Ainsi, Axxes & ace est un disque d’amour. D’amour tordu, vache, mais d’amour néanmoins. Du coup, plus question de se saccager le nombril comme auparavant, de fermenter jusqu’à la folie autodestructrice dans son jus de solitude. Jason Molina s’ouvre, et ça laisse entrer un peu de lumière dans son folk opaque, dans sa country gothique. On l’entend même chanter un How to be a perfect man miraculeux chez ce type à l’ego autrefois piétiné. Quitte à faire table rase du passé, il lui faudra désormais débarrasser la nappe des miettes de Palace qu’il continue de grignoter çà et là.