Les bureaux de change sont prêts. La parité est parfaite : 1 euro = 1 eusko. Des billets de 1, 2, 5, 10 et 20 eusko, certifiés par la Banque de France, vont être mis en circulation à partir du 31 janvier.
La baguette à 1 eusko, c’est dès demain au Pays basque.
L’eusko, qui se veut une monnaie complémentaire, aura la même valeur juridique qu’un ticket-resto ou qu’un chèque-cadeau (pas question donc de remplacer complètement l’euro).
Les habitants du Pays basque Nord (c’est-à-dire le Pays basque français) pourront échanger des euros contre des eusko dans de petits commerces faisant office de bureaux de change. L’échange étant irréversible, il leur faudra alors dépenser leurs nouveaux billets au sein d’un réseau de prestataires agréés par la Charte de la monnaie locale. Coiffeur, plombier, pharmacien, ostéopathe, paysan, comité des fêtes… 130 entreprises, commerces et associations, répartis sur l’ensemble du Pays basque, ont pour l’instant adhéré à la Charte.
Ainsi, dans le restaurant El Asador, à Bayonne, on pourra dès demain manger du fromage de brebis accompagné de confiture de cerise pour 6 eusko au lieu de 6 euros. Le gérant, Firmin Belchit, est curieux de voir ce que ça va donner. « Il faut tester la température, affirme-t-il. Ca ne prendra peut-être pas immédiatement, mais l’idée d’une monnaie locale est très bonne ». Né dans la région, il y voit l’occasion de « défendre les traditions et la langue basque ».
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Une inspiration écologiste et altermondialiste
L’initiative, chapeautée par l’association Euskal Moneta, a mis deux ans à aboutir. L’idée est née lors d’une rencontre avec des militants écologistes et altermondialistes au contre-sommet de Cancun, fin 2010. Des habitants du Lot-et-Garonne viennent de lancer « l’Abeille », une monnaie complémentaire utilisée à Villeneuve-sur-Lot pour promouvoir le commerce local. Le collectif basque à l’origine d’Euskal Moneta décide de s’en inspirer. Un comité de pilotage d’une dizaine de personnes se met en place. « Mais le ficelage du projet a été plus complexe que prévu », révèle Adrien Kempf, un jeune homme de 27 ans qui parle au nom du collectif. « On a été prudent, on a fait les choses dans les règles. »
Deux experts-comptables sont engagés pour prendre en charge les aspects techniques et juridiques. Les billets sont présentés à la Banque de France pour vérifier leur conformité avec la règlementation en vigueur. Pour éloigner les faussaires, les coupures seront sécurisées (papier filigrané, encre phosphorescente…). Et pour utiliser l’eusko, il faudra nécessairement adhérer à l’association Euskal Moneta. Les euros échangés seront quant à eux conservés dans un fond de réserve.
L’eusko, pour quoi faire ?
Une fois les aspects légaux réglés, le collectif basque se lance dans « une très forte campagne d’explication ». Réunions publiques, débats… Il faut convaincre les potentiels consommateurs et prestataires de l’intérêt d’une monnaie locale « écologique et solidaire ». Car le projet repose sur des valeurs : il veut promouvoir l’économie locale ainsi que la culture et la langue basque (l’euskara).
Le site de l’association (http://www.euskalmoneta.org) est clair : « La monnaie est une institution», peut-on y lire. « Elle fait exister un territoire bien précis. » Puis plus loin, « une monnaie locale (…) est un exercice pédagogique de masse de citoyenneté et de réappropriation de l’économie et du politique. » Adrien Kempf admet que l’initiative a suscité quelques réticences et a parfois été taxé de « tentative de repli sur soi ». Mais il assure que « le projet ne repose pas sur une revendication identitaire mais plutôt sur un attachement au territoire ».
Pour utiliser l’eusko, les prestataires devront nécessairement être implantés au Pays basque. Les entreprises et commerçants adhérents s’engagent aussi à relocaliser leurs achats et à utiliser davantage la langue basque (affichage bilingue, autocollant sur les vitrines pour indiquer son niveau d’euskara…). Pour changer ses eusko en euros, l’entreprise devra payer une commission de 5% dont 3% seront reversés à des associations.
Quant aux groupes qui pratiquent l’agriculture industrielle et aux grandes surfaces implantées hors des centres-villes, ils ne sont pas les bienvenus. L’eusko ambitionne de lutter contre la concurrence de la grande distribution au profit d’un développement local.
Ambitions et limites
Adrien Kempf est à la fois confiant et lucide. « Ça reste une idée, on ne sait pas ce que ça va donner. Mais c’est bien parti. »
L’eusko est une monnaie complémentaire, qui n’a ni l’ambition ni la capacité de remplacer l’euro. Les impôts, les charges ainsi que certains fournisseurs ne pourront bien entendu pas être payés en eusko. Si l’association envisage de mettre en place un système de paiement à distance au cours de l’année, les eusko n’existent pour l’instant que sous la forme de billets : la monnaie devra donc être rendue en euros. Adrien Kempf conclut, avec le sourire , «On a le temps avant que les grandes surfaces s’inquiètent. »
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