A Singapour, des scientifiques ont réussi à transmettre le goût numériquement. Au Danemark, une main artificielle reproduit le toucher. Prochaine étape : l’odorat.
Ya-t-il plus crispant que ce type qui, au lieu de vous en servir un, tourne beaucoup trop longtemps, dans son verre puis dans sa bouche, ce Beaujolais bon marché que vous avez acheté chez l’épicier d’en bas ? Le même qui articule des expressions telles que « en bouche », « on va être sur une note poivrée » ou « il raconte une histoire, ce vin ». S’il savait, le pauvre, qu’une bête machine peut, aussi sûrement que lui, faire la liste des saveurs qui composent le breuvage.
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Arôme de framboise ou de banane ?
L’équipe de Nimesha Ranasinghe, de l’université de Singapour, a mis au point un système capable de reproduire la sensation du goût grâce à des impulsions électriques qui transitent par une lame posée sur la langue, et dont les stimuli feintent le cerveau pour reproduire le goût de la fraise ou d’une côte de boeuf saignante. En septembre, une société japonaise lançait une cartouche à brancher sur son smartphone, qui diffuse des odeurs de menthe ou de chocolat pour prévenir de la réception d’un appel. Mais ce gadget n’est pas très différent d’un désodorisant de voiture.
La Digital Taste Interface, elle, n’utilise aucun produit chimique et peut donc envoyer son message gustatif à l’autre bout du monde par le web. Satisfait de cette première étape, Nimesha Ranasinghe tente d’y ajouter odeur et texture. Parallèlement, la semaine dernière, des chercheurs ont publié les résultats d’une expérience sensationnelle. Grâce à eux, un Danois de 36 ans, amputé du bras gauche, a retrouvé une main, bionique celle-là, directement branchée sur ses nerfs, donc à son cerveau, et qui peut ressentir à nouveau.
Caresser « virtuellement » du cuir
Odorat, goût, toucher, mais aussi vue, ouïe, tout y sera. Nous assisterons bientôt à une révolution équivalente au passage du noir et blanc à la couleur. Nos doigts caresseront, virtuellement, le cuir des chaussures ou la douceur d’un pull en cachemire sur les sites de vente en ligne. En moins mercantile, on pourra sentir la chaleur du sable ou la fraîcheur de la neige sur la photo de vacances postée sur les réseaux sociaux pour narguer les collègues. Et ils en profiteront aussi. Plus de mauvais/bons commentaires sur la cuisine d’un restaurant sans un test gustatif en pièce jointe. Même chose pour les agaçants clichés d’assiettes en gros plan.
On parfumera les mails amoureux. Mais les spams seront des boules puantes. Notre liseuse diffusera une odeur de papier, fraîchement imprimé ou vieilli quelques décennies en bibliothèque, selon l’auteur, de Flaubert à Bret Easton Ellis. On reniflera les indices d’un vieux Sherlock Holmes. Idem pour le cinéma, bien sûr. On sentira le parfum des fleurs en regardant La Mélodie du bonheur, où Julie Andrews chante dans l’air pur des collines autrichiennes. Mais aussi l’odeur de sang et de poisson des Dents de la mer ou les relents de sueur d’un Rocky. Et on pourra, espérons-le, couper le mécanisme lors des soirées électorales, pour s’épargner les effluves de certains discours nauséabonds.
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