U2 impose au monde, via iTunes, son nouvel album : la méthode est aussi contestable que le disque mauvais.
Un iPhone plus grand. Un iPhone beaucoup plus grand pour les beaucoup plus grandes mains. Une montre connectée pour tous les poignets. Plein de chiffres. Des mégabits, des mégahertz, des megapixels, de belles promesses de futur numérique brillant et de découverts bancaires massifs. Jusque là, tout allait bien, tout était attendu, tout était dans la norme.
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Puis vint, comme toujours lors des « keynotes » d’Apple, un « One more thing ». Ce petit truc en plus fut une énormité, la plus gonflée des baudruches du Rock’n’roll Circus moderne : ce petit truc en plus fut U2. L’anti-punk absolu venu jouer, les poches bourrées de la centaine de millions de dollars qu’Apple aurait mis sur la table dans le cadre d’un méga-contrat 360°, une chanson au titre d’un cynisme ahurissant, The Miracle of (Joey Ramone). Et annoncer, dans la foulée et à la surprise de tous, que son nouvel album Songs of Innocence était d’ores et déjà disponible.
Disponible à quel prix ? Avant sa sortie physique et « deluxe » en octobre, pour la plutôt modique somme de zéro euro et de quelques clics. Disponible comment ? En force, partout, de manière imposée. Que ses récipiendaires le désirent ou non, Songs of Innocence avait ainsi déjà été « pushé » par Apple, placé d’office dans la bibliothèque musicale de 500 millions d’utilisateurs d’iTunes et de l’iCloud, répartis dans 119 pays. « SUPRISE ! »
Comme un prospectus dans une boîte aux lettres
Vous êtes fan ? Bravo, vous êtes heureux. U2, que vous exécrez depuis des années voire depuis toujours, est votre cauchemar personnel ? Tant pis. Rien ne vous oblige à télécharger l’album, certes, mais on vous le colle quand même sous le nez. Comme on bourrerait de prospectus une boîte aux lettres arborant un autocollant « Pas de pub SVP », comme on pénétrerait chez vous, une nuit, pour poser sur votre chevet un livre dont on voudrait imposer la lecture. 500 millions de foyers envahis en une seconde : le casse du siècle. Qui rappelle la manière employée par Microsoft pour imposer son Internet Explorer à l’humanité, le liant d’office à ses système d’exploitation quasi-universels -avant de se faire méchamment taper sur les doigts par la justice internationale. 500 millions de foyers en une seconde : seul le Père Noël peut prétendre faire mieux, et même Jay-Z, lors de la distribution, en 2013 pour le même prix nul, de son Magna Carta Holy Grail à un million d’utilisateurs de smartphones Samsung, avait laissé le choix au public en le faisant passer par le téléchargement préalable d’une application dédiée. « Un groupe de millionnaires ‘offre’ son album exclusivement sur iTunes et la dévaluation de la musique atteint son paroxysme. Bien joué, U2 » a immédiatement tweetté le genial ex Arab-Strap Aidan John Moffat.
Et l’album dans tout ça ?
Contrat d’un type nouveau aux retombées forcément astronomiques, nouvelle manière de penser l’industrie, coup de pub phénoménal, méthode de distribution, au mieux, contestable : ces coulisses sonnantes et trébuchantes sont une chose. Mais l’album, dans tout ça, qui semble au final n’être que l’accessoire de ce gigantesque plan d’invasion marketing ? Il a été produit, notamment, par Danger Mouse (les Black Keys, Broken Bells, Norah Jones) ou Paul Epworth (Adele, Coldplay, Bloc Party). Il est « vendu » comme une cure de jouvence, un retour aux racines rock d’un groupe qui rend notamment hommage, sans fard, à Joey Ramone ou à Joe Strummer.
Mais il est malheureusement, certes sans grande surprise de la part d’un groupe qui n’a pas sorti d’album décent depuis le précédent millénaire, le contre-pied intégral des intentions affichées, un doigt d’honneur à la subversion foutraque que devrait constituer le rock : le groupe remercie Christian Estrosi dans le livret du disque, ceci n’est pas une blague, et ça en dit long.
Songs of Innocence est ainsi une caricature boursouflée de rock pour stades ou pour supermarchés, une enfilade de chansons à encéphalogramme et électrocardiogramme plats, de morceaux à l’électricité étouffée et à la musculature grotesque, une collections de tubes aux hormones dans lesquels on cherche encore une quelconque trace de mélodie intelligente, noyés dans quelques pauses romantico-politico-gaga guimauvesques et pénibles. Songs of Innocence est disque sans saveur, ni odeur, et surtout pas celle de la sueur.
« C’est excitant et c’est une leçon d’humilité de penser que des gens qui ne connaissent pas U2 ou écoutent du rock pourraient écouter ça » a déclaré Bono dans un communiqué. On prie pour notre part pour que ceux qui voudraient se pencher sur le rock voire sur U2 pour la première fois ne commencent pas par Songs of Innocence, tout gratuit et accessible qu’il soit.
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