Dans un étonnant manga, Kazuo Umezu met l’homme face à la machine pour un récit anxiogène et mystérieux.
Maître incontesté de l’horreur, Kazuo Umezu, 80 ans, est notamment l’auteur du chef-d’œuvre L’Ecole emportée. Le mangaka, qui a arrêté sa carrière en 1995, a aussi brillé dans d’autres genres, comme la comédie romantique et la science-fiction ; Je suis Shingo, œuvre au long cours dont les éditions Le Lézard Noir entament la publication (six volumes sont prévus), combine magnifiquement les deux.
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Satoru, un jeune garçon un peu à l’écart de ses camarades, voit sa vie changer lorsque son père lui annonce que son usine va accueillir un robot. Des images de mecha (type Goldorak) plein la tête, Satoru fantasme et réalise son rêve de rencontrer l’engin, lors d’une visite scolaire. Avec Marine, une enfant de diplomate croisée le même jour, il s’introduit dans l’usine pendant son temps libre pour programmer le robot.
Un suspense psychologique bien présent
Réalisé à partir de 1982, Je suis Shingo reflète les centres d’intérêt des enfants de l‘époque – jeux vidéo, ordinateurs… – mais aussi les craintes de leurs parents pour qui l’intelligence artificielle et l’automatisation sont synonymes de chômage et de dangers (le collègue du père de Satoru, qui n’arrive pas à s’adapter à la machine, se retrouve à la rue). Mais ce manga va bien au-delà de préoccupations sociales on ne peut plus actuelles.
Dans ce premier volume, Kazuo Umezu délaisse le genre horrifique mais certainement pas le suspense psychologique. Alors que l’on suit l’évolution de l’histoire d’amour entre Satoru et Marine, contrariée par la mère de cette dernière, et l’éveil progressif du robot à la conscience, une sourde angoisse monte.
Un manga d’emblée complexe et passionnant
C’est d’abord dans les visages expressifs, et les regards toujours inquiétants qu’ils soient enthousiastes, tristes ou paniqués, qu’Umezu la suggère. Son trait, parfois naïf, est surchargé d’un noir dense et anxiogène. De nombreuses planches, presque abstraites et à la poésie sombre, plongent dans les entrailles mystérieuses de la machine – d’abord des pièces s’emboîtent, puis les rouages font place à des dessins pixelisés et à des images que l’on croirait échappées de Tron.
La forme originale du récit – c’est le robot qui raconte sa vie – ajoute au malaise : pourquoi parle-t-il, qu’a-t-il vécu, d’où vient cette trace de regret dans ses paroles ? D’emblée complexe et passionnant, ce manga, on le pressent, risque dans les tomes suivants de devenir déchirant. Anne-Claire Norot
Je suis Shingo tome 1 de Kazuo Umezu (Le Lézard Noir), traduit du japonais par Miyako Slocombe, 408 p., 21 €
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