Ils débarquent. Avec des idées, des désirs. Des frustrations et des revendications. Tout l’été, nous dressons le portrait des moins de 30 ans qui feront demain. Aujourd’hui : Corentin Durand, 18 ans, président du principal syndicat lycéen (l’UNL).
En juin, il a obtenu son bac L, mention Bien, s’il vous plaît. Il s’apprête aujourd’hui à intégrer une prestigieuse prépa littéraire. Et pourtant, dans son propre lycée, on ne semblait pas trop y croire… “Doit faire ses preuves à l’examen”, avaient jugé ses professeurs à l’issue de son année de terminale. Pire, Corentin n’est pas passé loin d’une inscription au registre des décrocheurs scolaires. La faute… à son engagement. En avril, le jeune homme a été élu président de l’Union nationale lycéenne, le premier syndicat lycéen français. Un investissement chronophage, qui, par la force des choses, lui a fait négliger quelques cours.
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Première campagne dans la cour de récré
Petit retour en arrière. 2007, l’élection présidentielle, Corentin est en CM2. Sa mère, prof d’histoire, soutient Ségolène Royal. Son père, militaire, préfère Nicolas Sarkozy. Droite, gauche, qu’est-ce-que ça veut dire quand on a 9 ans ? Corentin : “j’essayais de comprendre, de donner du sens à leurs opinions.” Il choisit :
“Dans la cour de récré, j’ai fait campagne pour Royal. L’idée de démocratie participative m’avait parlé. Ça m’avait paru très concret, très logique : écouter les gens, les laisser s’exprimer.”
Sarkozy est élu. Tant pis. Corentin oublie la politique quelques années. Entre temps, il passe ses années de collège dans une école privée catholique. Un matin, il fait un constat qui le bouleverse. Il raconte :
“L’école privée, le catéchisme, c’était mon univers, celui de mes amis, je me laissais bercer – c’est un âge aveugle. Et puis un jour, je me suis réveillé : j’avais perdu la foi. Peut-être même que je ne l’avais jamais eue. Tout ça n’avait plus de sens. C’est pour combler ce vide que je suis revenu à la politique.”
Ni enfant ni adulte
Après cette crise existentielle, le lycée va le réveiller, le stimuler. Il opte cette fois pour l’enseignement public, découvre des gens nouveaux. Il lit beaucoup, mais, constate-t-il : “La littérature n’est pas un remède, elle ne fait qu’étendre infiniment le champ de la réflexion.” Fin 2011, il est en seconde, l’affaire DSK éclate : « Un choc. Strauss-Kahn allait peut-être finir en taule, la gauche pouvait ne pas gagner. Je me suis dit : il faut que je m’engage.” Il se passionne pour la campagne présidentielle. Surtout, il sympathise avec un membre de l’UNL, qui lui ouvre les portes du syndicat. Corentin :
“Les lycéens sont une partie de la population très particulière, le cul entre deux chaises. Etre lycéen, c’est n’avoir aucun droit mais beaucoup de devoirs, et savoir pourtant que la société attend énormément de toi – parce que tu es l’avenir, le renouveau, parce que tu dois faire des choix pour devenir un agent économique. Et pourtant tu n’as toujours pas le droit de voter, de faire entendre ta voix, de participer à la société. Tu n’as plus la protection d’un enfant mais tu n’as pas encore les droits d’un adulte.”
Qu’à cela ne tienne, Corentin prend son engagement à bras le corps, malgré les mises en garde de ses parents et professeurs (“tout le monde me disait de ne pas le faire”). Commencent les démarches auprès de la préfecture, les tractages, les réunions dans les cafés, les rencontres avec les autres partenaires de son département (la Savoie)… bientôt la France entière. Corentin : “Tu lances une machine qui ne s’arrête jamais.”
“La pire menace pour un gouvernement”
L’UNL a beau être le principal syndicat lycéen, il ne compte que 7 000 adhérents pour plus d’un million de lycéens… Alors, le jeu en vaut-il la chandelle ? Il assure que oui :
“Nous participons à des réunions au ministère de l’Education, nous allons à la ©onférence sociale… On a des idées, une voix qui porte. Certes je ne souffle pas des idées au ministre dans son sommeil, mais on enclenche des réformes, nous sommes une force de proposition.”
Il rappelle une vérité historique : “Un mouvement lycéen, c’est la pire menace pour un gouvernement. Quand on bloque des établissements, quand les lycéens sont dans la rue, là, on apparaît. Le reste du temps, malheureusement, c’est comme si la société avait intériorisé l’idée que les jeunes sont un peu cons, pas très intéressants. Nous sommes souvent mal considérés.”
Lui porte un regard confiant et enthousiaste sur sa génération. Il dit :
“Les lycéens sont des gens… géniaux. Ils ont très peur de l’avenir, mais ils ont envie de se battre. Ils dépassent leurs limites, ils continuent d’inventer des trucs, des manières de communiquer, un langage, une culture. Les nouvelles technologies, par exemple, leur donnent une autorité, une capacité d’expression et de communication, une identité très forte. C’est une forme de prise de pouvoir. On collectionne les réseaux, les savoirs, les rencontres.”
“Je passe ma vie à faire des snapchats”
Il a été élu président en avril, une responsabilité qui l’honore, bien sûr, lui pèse parfois : “c’est un défi intense et beau. Mais tu ne peux plus dormir la nuit sans y penser.” Il ne compte pas rester plus longtemps qu’il le faudra : “une organisation lycéenne, par principe, c’est un renouvellement constant puisque le lycée ne dure que trois ans.” Après ses études, il aimerait bien enseigner. Pas de politique ?
“Quand on me pose cette question, je me remémore toujours cette interview d’Harlem Désir – il a 24 ans, il dit : ‘Je ne ferai jamais de politique’. Et j’ai envie de rire. Je ne peux pas dire jamais… Ce serait un très grand vide dans ma vie de ne plus m’engager. Mais je fais partie d’une génération qui en a marre des cadres habituels. Je trouverai d’autres façons de militer, je n’irai pas forcément prendre la carte d’un parti et me présenter à toutes les réunions de section. Je resterai syndiqué par contre, c’est très important pour moi. Et si un jour je fais de la politique, j’espère que je ferai ça correctement.”
En attendant, Corentin dévore sa jeunesse avec gourmandise. “Je m’amuse, je regarde des séries débiles, je passe ma vie à faire des snapchats. Parce que ça me fait rire. Parce que j’ai 18 ans. Je ne veux pas devenir un moine-soldat.” Avec une émotion qui affleure dans la voix, il dit : “Je pense sincèrement que les jeunes d’aujourd’hui n’ont jamais été aussi riches, intenses, différents.” Il dit : “Nous ne sommes pas une génération perdue, on se bat, on existe.” Il dit : “J’ai pas peur.”
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