Le Parquet de paris ouvre une enquête préliminaire contre Dieudonné après la diffusion et suppression d’une vidéo sur Youtube. C’est loin d’être la première fois.
»Feu Foley ». C’est le titre qu’a choisi Dieudonné pour une vidéo postée sur Youtube fin août, suite à l’assassinat du journaliste américain James Folley, décapité par un membre de l’État islamique. Le Parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire contre l’humoriste pour »apologie d’actes de terrorisme », a révélé hier matin RTL.
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»La décapitation symbolise le procès, l’accès à la civilisation », clamait notamment Dieudonné sur cette vidéo. Elle a depuis été supprimée de Youtube. Jusqu’à la prochaine ?
Récidive
Ce n’est pas la première fois que l’humoriste tient ce genre de propos diffusés sur Internet. Mais ses vidéos retirées, ses comptes fermés et mêmes ses condamnations ne l’empêchent pas de poster régulièrement ses interventions filmées, notamment sur Youtube.
En effet, en novembre 2013, un jeu de mot des plus douteux fait condamner Dieudonné devant la Justice. Sa vidéo »Shoananas » (chanson aux paroles antisémites sur l’air d’un titre d’Annie Cordy) est supprimée de Youtube au mois de janvier suivant. Mais entre-temps, l’humoriste souhaite une bonne année 2014, l »’année de la quenelle ». L’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) l’attaque en référé, et dénonce une »contestation de crimes contre l’humanité, une diffamation raciale, et une provocation à la haine raciale et à l’injure publique ». En février, l’UEFJ remporte le procès. Dieudonné doit effacer les passages de la vidéo mis en cause.
Sa vidéo supprimée avant la décision de justice
Ces mesures ne semblent pas dissuader l’humoriste de recommencer. Pour Sacha Reigerwirtz, président de l’UEFJ, cela tient notamment de la responsabilité des hébergeurs :
»Youtube ne fait pas suffisamment son travail, quand il s’agit des propos racistes ou antisémites »
Pourtant, »les conditions générales d’utilisation (CGU) de ce genre de sites défendent très généralement les utilisateurs de diffuser des propos dépassant les limites de la liberté d’expression », explique Yaël Cohen-Hadria, avocate spécialisée dans les libertés numériques. Une de ses consoeurs, Me Christiane Feral-Schuhl, ajoute :
»L’hébergeur peut prendre l’initiative de supprimer la vidéo ainsi que le compte utilisateur en cas de non-conformité aux conditions d’utilisation du service. »
C’est certainement pour cette raison que la vidéo »Feu Folley » a déjà été supprimée, alors même qu’aucune décision de justice n’a été rendue. Les utilisateurs peuvent en effet »signaler » les vidéos au contenu choquant. L’hébergeur peut alors décider de supprimer la vidéo.
Mais elle ne le fait pas toujours, ce qui permet à « des millions d’utilisateurs de visionner ces vidéos », s’indigne Sacha Reigerwirtz. Et il ajoute:
« On ne peut aller plus vite que la Justice. Et même quand la Justice intervient, cela peut prendre trois à quatre semaines pour que la vidéo disparaisse. »
Youtube propose également une autre alternative, comme le rappelait Le Monde, évoquant »Shoahnanas »: l’hébergeur affiche un message d’avertissement, qui signale: »le contenu suivant a été identifié par la communauté Youtube comme potentiellement offensant ou choquant. Il vous appartient de le visionner ou pas. »
Son compte clôturé… mais déjà un nouveau
Youtube est même allé jusqu’à supprimer récemment le compte de Dieudonné, « iamdieudo ». On peut lire sur la page: « Ce compte a été clôturé suite à des cas graves ou répétés de non-respect du règlement de la communauté et/ou des réclamations pour atteinte aux droits d’auteur ».
Mais l’humoriste en a déjà créé un nouveau, dont la première vidéo date de début août, soit avant l’exécution de James Folley.
L’hébergeur semble donc tenter de sévir, sans réel succès. Pourtant, assurent les deux avocates, Youtube pourrait le faire, en théorie du moins :
»L’hébergeur peut prévoir l’interdiction de créer un nouveau compte. »
Pourquoi ne le fait-il pas ? Outre des problèmes techniques – même si l’humoriste n’hésite pas à faire de la pub pour son compte Youtube sur Twitter – , Youtube n’est pas une plate-forme française. Dieudonné est considéré comme »un utilisateur comme un autre », fait remarquer Yaël Cohen-Hadria. Youtube ne l’a pas nécessairement identifié comme quelqu’un à surveiller de près, d’autant plus que la législation sur la liberté d’expression aux États-Unis est différente de la nôtre.
Quelles solutions?
Autre difficulté, complète l’avocate, la justice française ne peut pas interdire à Dieudonné de ré-ouvrir un compte Youtube.
»Cela relève d’obligations contractuelles entre l’utilisateur et l’hébergeur. Il faudrait que Youtube saisisse la Justice et alerte que Dieudonné n’a pas respecté les CGU. »
Néanmoins, Télérama signalait en janvier, alors que Manuel Valls venait d’interdire les spectacles de l’humoriste, que la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) proposait des pistes pour remédier à de tels délits. L’article 6-I-6 dispose que :
»L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête […] toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne »
Pour »prévenir le dommage », la Justice pourrait-elle directement interdire à l’humoriste d’ouvrir un compte Youtube? Une telle action paraît à la fois – peut-être – radicale et, de nouveau, difficile à appliquer.
On peut d’ailleurs se demander si la suppression, de temps à autres, de ces vidéos, ne profite pas finalement à l’humoriste. Elle renforce sa stratégie victimaire, et apparaît comme le moyen pour l’humoriste d’effacer certaines incohérences de ses propos. Et ce n’est pas rare avec lui. Pour ne donner que quelques exemples, en août 2011, il qualifiait l’extrémiste Breivik, auteur du meurtre de masse commis en Norvège, de « star montante des productions judéo-maçonnique ». L’année d’après, il parle de Mohammed Merah: selon lui, le terroriste islamiste était un complice du Mossad…
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