La série LGBTQ des sœurs Wachowski a été annulée par Netflix, tout comme l’exaltante saga hip-hop The Get Down. Un tournant normatif pour le géant du streaming ?
Jusqu’à présent, Netflix avait toujours vu clair en ne se séparant que de ses séries les plus gênantes (la saga balourde Marco Polo) ou tout simplement ratées (l’horrifique Hemlock Grove, trois saisons quand même). Elle se distinguait du tout-venant en refusant de mener une politique d’annulation à tout va, une méthode réservée historiquement aux grandes chaînes shootées aux audiences.
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Mais tout a basculé, depuis ce début du mois de juin, quand Cindy Holland, qui gère les contenus de l’opérateur de streaming, a annoncé, avec un ton mélodramatique légèrement suspect, la mise au rebut de Sense8, la série de Lana et Lilly Wachowski (associées à J. Michael Straczynski) : “Après 23 épisodes, 16 villes et 13 pays, l’histoire du petit groupe de Sense8 se termine. La série a été tout ce dont nous pouvions rêver, ce dont ses fans pouvaient rêver : audacieuse, émotionnelle, magnifique et inoubliable.”
On a connu des décisions moins révoltantes, étant donné que la deuxième saison de la série s’achève sur un cliffhanger appelant de toute évidence à une suite – les “W” voulaient cinq saisons, pas moins. Les amateurs de séries n’aimant rien plus que les histoires qui se terminent de manière un tant soit peu cohérente, certains ont décidé de protester via une pétition en ligne qui a rassemblé plusieurs centaines de milliers de signatures en quelques jours, chiffre en constante augmentation.
La finance a parlé, telle est la réalité
Le désir qui restera probablement inassouvi de ressusciter Sense8 n’est pas seulement dû à la frustration. En mettant en scène une utopie de la différence et de l’amour transidentitaire, en reliant ses huit personnages principaux dans une sorte de partouze cosmique géante, la série a pris une place majeure dans l’histoire contemporaine des représentations queer.
La décision de Netflix intervient dans un contexte mondial où l’homophobie et la transphobie se révèlent de plus en plus au grand jour. Eteindre les feux de Sense8 revient à perdre une chance de mettre en lumière des femmes et des hommes souvent invisibles et privés de récits.
L’honnêteté pousse à admettre que la série avait eu un peu de mal, durant sa deuxième saison, à renouveler ses enjeux narratifs. Mais les raisons de son annulation par Netflix n’ont probablement rien à voir avec cela. La finance a parlé, telle est la réalité. Chaque saison de Sense8 coûtait plusieurs dizaines de millions de dollars.
Quelques jours plus tard, The Get Down est annulée
L’annulation, quelques jours plus tôt, après une seule saison, de l’extraordinaire (et très chère) saga hip-hop de Baz Lurhmann, The Get Down, tend à confirmer que Netflix ne se contente désormais plus seulement de buzz favorable pour ses séries, mais commence à regarder de près dépenses et stratégie.
Peut-être poussé par ses nouveaux concurrents comme Amazon (Transparent, I Love Dick) et Hulu (The Handmaid’s Tale) qui ont commencé à rattraper leur retard, Netflix a sans doute eu envie de faire place nette pour des projets moins coûteux. Reed Hastings, le patron, a même spécifié dans une interview vouloir désormais “annuler plus de séries” pour “essayer des choses plus folles”.
Alors que l’épuisante House of Cards est toujours maintenue en vie, malgré une cinquième saison qui a tout du fiasco, on saisit mal en quoi se débarrasser de Sense8 et The Get Down serait synonyme d’audace. Il se pourrait bien qu’au contraire la radicalité et l’intransigeance des créatrices et créateurs de ces deux séries, venu(e)s du cinéma, aient parfois laissé les pontes de Netflix pantois et en quête de personnalités plus malléables. On espère sincèrement se tromper.
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