Certains n’aiment guère l’idée que la musique puisse être illustrative ? par exemple qu’elle serve à grossir les traits d’un drame sous forme d’opéra. Quoi que l’on puisse en penser, c’est aussi l’opinion du pianiste Masabumi Kikuchi. Mais, comme son confrère Uri Caine, hébergé par le même label, il est pourtant persuadé que les œuvres […]
Certains n’aiment guère l’idée que la musique puisse être illustrative ? par exemple qu’elle serve à grossir les traits d’un drame sous forme d’opéra. Quoi que l’on puisse en penser, c’est aussi l’opinion du pianiste Masabumi Kikuchi. Mais, comme son confrère Uri Caine, hébergé par le même label, il est pourtant persuadé que les œuvres écrites du passé n’ont pas été figées à jamais, que l’on peut donc les faire siennes en toute liberté, y compris les opéras, sans se borner à cette littéralité respectueuse qui empoisonne de nombreuses interprétations. Pour preuve, cet instrumentiste encore peu connu (bien qu’il ait joué avec Elvin Jones et Sonny Rollins) s’est déjà livré, en compagnie du trio Tethered Moon (Gary Peacock à la basse, Paul Motian à la batterie), à des relectures de Kurt Weill et d’Edith Piaf. Aussi aventureuses soient elles, elles n’atteignent cependant jamais l’intensité de leur Experiencing Tosca, d’après le célèbre opéra de Puccini.
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Où Uri Caine, en iconoclaste, se réapproprie les partitions de Mahler ou de Bach qu’il tord à sa main, Kikuchi, lui, n’utilise que des airs, sous forme de réminiscences, et encore de façon parcimonieuse, comme autant de prétextes et de cadres à ses longues dérives improvisées. Questionné, l’initiateur de ce singulier projet avoue d’ailleurs n’avoir eu que faire des dénouements tortueux, des coups de théâtre et de l’aspect mélodramatique du livret. En fait, son premier contact avec cette œuvre se fit chez Miles Davis (des extraits pour piano tapissèrent un temps les murs de sa maison), qui ne l’enregistra malheureusement pas, comme il avait projeté de le faire avec Gil Evans. La curiosité titillée, Kikuchi s’est amusé à la jouer régulièrement bien des années après, juste pour lui, avant d’en parler à Paul Motian et Gary Peacock surtout, avec qui il avait enregistré dans les années 70 les superbes Eastward et Samadhi, quand il étudiait le zen au Japon.
Enthousiastes, tous se mobilisèrent afin que l’idée se concrétise, en l’inscrivant dans un cycle de relectures entamé par Tethered Moon en 1995. Dans la Tosca, ce sont l’émotion, la grâce et la beauté des arias qui ont conquis la formation. Au diapason d’une certaine forme de tristesse proche de l’extase qui est propre à la partition originale, Kikuchi, Peacock et Motian ont improvisé des morceaux où l’intériorité domine, reflétant la sensualité comme le côté parfois funèbre d’une histoire d’amour contrariée. Constamment, les mélodies ne font qu’affleurer, retenues et tout en ellipses, sur le modèle des trios de Bill Evans et plus encore de Paul Bley, où le rythme s’insinue, suggéré par un tempo diffracté. En résulte une ambiance générale d’une rare délicatesse, aérienne, romantique, et au bout du compte fidèle à l’esprit de Puccini.
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